Microcastle

Deerhunter

Kranky – 2008
par Jeff, le 26 novembre 2008
9

Pour tout dire, les premiers efforts de Deerhunter ne m'ont jamais transcendé. C'est particulièrement vrai pour l'encensé Cryptograms. Cet album de rock noisy jamais avare en expérimentations, s'il était il est vrai parcouru de quelques fulgurances, avait une légère tendance à me fatiguer avec ses longues plages éthérées qui faisaient davantage office d'interminables transitions que de morceaux à proprement parler. Or, aujourd'hui plus que jamais, une bonne frange du public, trop occupée à séparer le bon grain de l'ivraie lorsqu'il est confronté à la énième hype de la semaine, ne laisse que trop rarement une seconde chance à un artiste qui ne lui a que guère plu lors d'une première écoute. Aussi, on pourrait se demander ce qui m'a poussé à insérer le disque de Deerhunter dans le lecteur.

Il y a d'abord eu les critiques dithyrambiques qui sont apparues ces dernières semaines au sujet du troisième opus de la formation d'Atlanta – dont un exceptionnel 9.2 chez ce pourfendeur du bon goût qu'est Pitchfork. Ensuite, il y eut  l'album d'Atlas Sound, projet solo du chanteur de Deerhunter, sur lequel le rachitique Bradford Cox s'en donnait à cœur joie sur un format pop/laptop qui n'avait que peu de choses à voir avec les sonorités plus absconses si chères à Deerhunter. D'ailleurs, pour mieux comprendre la nouvelle trajectoire empruntée par le groupe américain, le passage par la case Atlas Sound semble indispensable. En effet, Microcastle s'inscrit dans la droite lignée de Let The Blind Lead Those Who Can See But Cannot Feel, à la seule différence – non négligeable – qu'il place la barre encore plus haut.

Enregistré dans le studio Rare Book Room du Français Nicolas Vernhes (où sont également passés Animal Collective, Stephen Malkmus ou les Fiery Furnaces), Microcastle est un opus flamboyant qui laisse régulièrement de côté les inutiles circonvolutions ambiant qui plombaient trop souvent les disques de Deerhunter ou Atlas Sound pour ne laisser de place qu'à des morceaux au pouvoir de séduction immédiat, comme en témoignent "Agoraphobia" et "Never Stops", deux parangons d'indie pop moderne judicieusement placés en ouverture de disque. Et même si Deerhunter semble incapable de marquer une rupture nette par rapport à ses précédents efforts (les éthérés "Microcastle" et "Calvary Scars"), les mutations enregistrées depuis Cryptograms n'en restent pas moins frappantes et accouchent d'un groupe capable de rivaliser avec Sonic Youth ou My Bloody Valentine sur leurs propres terrains de jeu sur "Nothing Ever Happened" et "Twilight at Carbon", deux titres aux montées en puissance dévastatrices.

Cerise sur le gâteau, cette nouvelle réalisation est accompagné d'un second disque, Weird Era Cont, dont les fans les plus assidus ont déjà entendu parler à de nombreuses reprises. Pour la petite histoire, il faut savoir que celui-ci avait leaké il y a de cela quelques mois sur le Net suite à une bourde de Bradford Cox. En postant une chanson inédite sur son blog, l'Américain avait par mégarde déverrouillé son compte Mediafire. Un internaute futé en a donc profité pour pomper allégrement dans les fichiers personnels de l'artiste et mettre en ligne rien de moins que les démos de Logos, le deuxième album d'Atlas Sound et Weird Era Cont – qui devait alors devenir le quatrième essai de Deerhunter. Cette dernière réalisation est donc un assemblage décousu de vignettes qui, bien qu'inachevées, permettent à Bradford Cox et ses ouailles d'enfoncer encore un peu plus le clou. Comme sur Microcastle, de nombreux genres sont passés à la moulinette de l'imagination tordue et débordante de Cox pour un résultat qui se déguste sans modération et ne fait nullement pâle figure face à Microcastle.

Le constat est donc on ne peut plus clair: au fil des albums et des projets solo de son leader, Deerhunter s'affirme comme une valeur sûre du rock indépendant américain. Et pour le coup, confronté à un album d'une telle qualité, on ne peut que s'incliner devant une telle maîtrise du sujet. Alors, Microcastle, meilleur album de 2008? C'est bien possible. Et quand bien même ce ne serait pas le cas, il ne fait aucun doute qu'on tient là une galette qui occupera une place de choix dans les habituels classements de fin d'année. 

Le goût des autres :
9 Nicolas 8 Adrien 9 Romain 8 Julien 9 Julien L