Maps And Territory

JuJu

Fuzz Club – 2019
par Émile, le 12 juin 2019
8

Un rock psyché moderne, différent, qui ose chier sur le revival, on y croit, et on y croit dur comme fer, notamment parce qu’il y a des groupes qui sont déjà capables de le proposer. Mais entre l’aspect parfois bouillie de Tame Impala, la sensation que laissent les Black Angels d’être restés bloqués dans les 70’s, et Demian Castellanos qui se met de plus en plus à taper dans le kraut malgré son talent évident, on a du mal à les repérer. C’est là qu’intervient JuJu. Juju, c’est pas ton pote Julien qui a un groupe « qui monte pas mal sur la scène locale » ; JuJu c’est le projet solo du musicien italien Gioele Valenti, l’homme derrière Herself, projet des années 2000 et 2010 qui n’a malheureusement jamais percé au plus haut niveau, malgré des qualités évidentes.

Maps And Territory, comme son nom peut le laisser supposer, est une itération progressive sur le rock dans sa version psyché. Pas psyché comme peut l’être un disque de Eternal Tapestry ou des Spacemen 3, en nous faisant dérailler de la première seconde jusqu'à la fin des temps, mais psyché dans la possibilité qu’il se propose d’innover en centrant ces innovations sur des effets, des recoupements d'inspirations et des répétitions. Lorsque le pan traditionnel du psyché est abordé sur l'album, c’est toujours justement dans la force de cette répétition, comme le propose le très bon « I’m In Trance » sur lequel Valenti accueille Goatman, frontman du collectif Goat. Mais plus souvent encore sur le disque, JuJu sait s’écarter du chemin classique qui associe les riffs de guitare et les voix lancinantes du rock moderne. Sur « Motherfucker Core » par exemple, il retrouve son amour pour la techno, déjà présente sur l’album mentionné plus haut ; ailleurs, on entend du jazz, des envies de métal, des lenteurs qui rappellent le drone ou encore du klezmer.

C'est là qu'on comprend : dans ce disque, partout on cartographie. On place les éléments les uns par rapport aux autres, on éloigne, on rapproche, on mesure expérimentalement, dans la tentative. Cette façon de penser la relation d'un musicien à son art ne peut alors être que profondément rafraîchissante. Impossible de faire du rock psyché sans faire autre chose, puisqu’il faut bien le placer sur une carte vis-à-vis de ce qu’il n’est pas ! L'intelligence de cette musique est pourtant bien là : en faisant mine de distinguer, JuJu rassemble. Alors plus rien ne va : l’album essaie-t-il de cartographier le territoire du rock psyché, ou bien attribue-t-il au rock psyché le rôle de cartographier les territoires ?

Bien heureusement, le déroulement du disque fait bientôt son travail et nous happe loin de toutes ces interrogations, puisque comme tout très bon album de rock psyché, l’ensemble de ces six morceaux nous emmènent bien loin de là où on avait prévu d’aller. Alors cette entreprise, apparemment très sage, de cartographie est en réalité un voyage prévu pour nous perdre. Cet abandon qui explose littéralement toute frontière, c’est celui du dernier morceau, « Arcontes Take Control », sur lequel JuJu se fait accompagner de la musicienne italienne Amy Denio. L’album, relativement court jusque-là, se met à s’étirer indéfiniment, se développant avec lenteur et minutie dans une conclusion qui, bien qu’elle nous perde encore, ne cesse de se replacer par rapport aux morceaux précédents.

Maps And Territory, c’est la cartographie incartographiable du rock psyché et des infinies nervosités qui le prolongent tout en s’en éloignant. Avec ce disque, Gioele Valenti se place comme un artiste incontournable et novateur sur une scène qui tourne trop – ou pas assez – en rond.