Manipulator

Ty Segall

Drag City – 2014
par Michael, le 11 septembre 2014
7

Il est parfois difficile d’écrire. De prendre sa plume (enfin son clavier) et de s’arracher du brouhaha continu que suscite trop souvent le cirque promotionnel auquel nous souscrivons tous. Car on peut cracher sur le critique. Une profession qui n’en est pas une, et dont on se plaît à dépeindre les représentants comme des artistes ratés, à la frustration nourrie par la bile et la jalousie. Il est vrai que l’on serait souvent bien tenté de souscrire à ce type d’analyse digne du café Ginette quand on lit la pauvreté et la redondance de certains papiers, qui nous amène à quelque fois nous sentir proche du calvaire subit par Bill Murray dans Un jour sans fin.

Mais soyons honnêtes l’espace d’un instant. Pour être critique (dans tous les sens du terme), que vous le vouliez ou non, il faut aimer (détester aussi, cela va de soi) passionnément ce médium auquel on prête le nom de musique. Car franchement, vous croyez vraiment qu’on passerait autant de temps à se casser le cul à écrire par simple frustration ou problème d’ego mal dégonflé ? La connerie humaine peut être vaste, mais elle est souvent mieux employée, notamment lorsqu’il s’agit de faire chier son prochain. Il faut suer, et encore être capable de sentir son poil se hérisser et ses tripes se tordre dans un instant fugace et volatil mais vers lequel on continue de courir sans cesse, celui qui nous fait entrevoir toute la profondeur et la grâce de ce que cet art est capable de produire en nous transperçant du tympan au myocarde.

Tout ça pour dire peut-être de manière pompeuse et extrêmement prétentieuse qu’il n’est pas toujours aisé de ne pas sombrer dans la tentation du marronnier quand on en vient à traiter certains artistes, sur lesquels on a déjà tout dit, redit et encore redit au cas où vous n’auriez pas compris ou que vous soyez doté d’un cerveau de saurien. On va donc essayer d’éviter les poncifs habituels que vous pourrez lire dans les 53 462 reviews que vous seriez en mesure de lire sur cet album.

The Manipulator va très certainement vous décevoir si vous êtes un régulier de Ty et de toute la scène pseudo–garage de San Francisco (franchement qu’est-ce qu’il reste encore de garage là-dedans ?). Vous n’allez pas crier à la trahison, mais juste à l’ennui. Et vous aurez raison. En partie. Vous n’y trouverez pas la fulgurance de Twins, les mélodies acidulées et médicamenteuses de Goodbye Bread, l’odeur d’herbe fraîchement coupée de Hair, les riffs gras et délicieusement dégoulinants de Slaughterhouse, ni ce véritable dernier album de Black Sabbath enregistré sans Black Sabbath sous le patronyme de Fuzz. Non, vous n’y trouverez pas tout ça, mais un précipité de tout ça, infusé dans une double éprouvette, le tout sous très très très forte influence Bowiesque période pré-Spiders from Mars. Pas quelque chose qui aurait pu nous déplaire en somme, bien au contraire. Une sorte de super best-of, format quality street mais qui sur la longueur fini par vous encombrer tout de même un peu l’estomac.

Parce que bon, on va pas se le cacher : ce qu’il y avait de bien avec les albums du blondin, c’est que 35 minutes c’était le format parfait. On sent bien qu’ici le temps en studio a été doublé voire triplé ou quadruplé, et les morceaux pris individuellement sont quasiment tous bons, de ce point de vue-là il n’y a rien à redire. C’est juste que quand tu as l’habitude de finir ton repas avec un expresso et une clope, c’est dur de passer au liégeois avec cigare. On ne se fait cependant aucun soucis pour Ty. On devine que comme le meilleur élève de John Dwyer qu’il est, il fait de la musique pour les bonnes raisons. C’est-à-dire pour faire de la musique, sortir des albums tant qu’il a la chance et le privilège de pouvoir le faire, tourner, et qu’il aura bien le temps après de se poser des questions. Et on espère que ce temps-là viendra le plus tard possible. En attendant Ty, ressers-nous vite un petit noir, steup.

Le goût des autres :
6 Amaury L