Lower East Suite (Part Three)

Onyx Collective

Big Dada – 2018
par Émile, le 26 juillet 2018
7

Un mot s’impose au moment d’évoquer le cas Onyx Collective: insaisissable. Le qualificatif convient d’ailleurs autant à sa géométrie variable qu’à sa musique pour le moins protéiforme. Les enregistrements studio et surtout les performances live du groupe s’enrichissent régulièrement d’une bonne quinzaine de musiciens, tous passés par les meilleurs conservatoires. Parmi eux, on trouve le bassiste Felix Pastorius, fils de Jaco et surtout Isaiah Barr, as de la vocalise et du saxophone, accessoirement leader naturel de ce fourbi tentaculaire et auquel on prête la prouesse de pouvoir jouer de plusieurs saxophones simultanément.

Une immense variété d’influences et une virtuosité collective qui autorisent ainsi les plus grands écarts de style et d’interprétation. A l’image de leur explosive Boiler Room, Onyx Collective est inclassable, une version 2.0 des Residents. Une variable rassemble cependant tout ce beau monde: New York. A l’aune de ce nouvel axiome, l’identité du collectif se dessine alors mieux et leur musique se livre d’autant plus clairement. Au fil des titres qui jalonnent leur discographie, le groupe s’impose en véritable guide Lonely Planet de la Grosse Pomme. Sur Lower East Suite (Part Three) par exemple, Manhattan est l’unique idée directrice ; le tracklisting invite entre autres à découvrir le Manhattan Bridge, le Veselka (vénérable restaurant ukrainien de l’East Village) ou le Chatham Square. Plus symbolique encore est l’allusion au Bowery, ce quartier coincé entre Chinatown et Little Italy où résonnent encore les échos de célèbres clubs comme la chapelle punk CBGB ou le Five Spot qui accueillit au tournant des sixties le meilleur de l’avant-garde jazz.

A travers l’imagerie et les fantasmes qui découlent des ces lieux, Onyx Collective convie aussi bien le cinéma de John Cassavetes, d’Abel Ferrara ou de Martin Scorsese que la musique de Madball, du Velvet, des Ramones, de John Zorn, du Wu-Tang, de Suicide, de Sonic Youth, des Cramps, ou de Cecil Taylor. Du jazz à l’expérimental, du rock à la noise, du hip-hop au hardcore, le collectif s’empare de tout ce que New York a pondu d’avant-garde et de post-genres dans un improbable mais homérique amalgame. Avec eux, c’est toute l’histoire de la ville et de la musique new-yorkaise qui se raconte, sans concession et avec une désinvolture dont seuls les héritiers du punk peuvent se targuer.

Cet excellent Lower East Suite (Part Three) poursuit ainsi la voix tracée en 2017 par deux autres EP parus en digital également chez Big Dada, subdivision hip-hop anticonformiste d’un label décidément en pleine renaissance, Ninja Tune. Avec ce troisième volume, le groupe est réduit (sic) à huit membres avec notamment une section rythmique riche en basse et un guitariste. Le disque est, pour l’occasion, un opus clairement jazz, capté pour grande partie dans des conditions live. L’influence la plus prégnante est celle des pionniers du free comme l’inévitable John Coltrane ou l’excentrique Albert Ayler. Bien plus que d’autres talentueuses têtes de proue du renouveau jazz comme Kamasi Washington ou Shabaka Hutchings, Onyx Collective se montre lui très fidèle à l’esprit radical qui s’insinuait à l’époque dans le jazz, et la puissance abrasive de leur musique est à n’en pas douter parmi les plus beaux et originaux tributs à cette génération.