Lonerism

Tame Impala

Modular  – 2012
par Duke, le 11 octobre 2012
10

C’était y a deux ans, en août, je rencontrais Kevin Parker dans un hôtel parisien avant le concert de Tame Impala à la Maroquinerie. Le mec bossait, seul, sur son nouvel album. C’est ce qu’il nous avait confié en tout cas. J’étais sacrément excité par cette confession, déjà complètement conquis par Innerspeaker. Et je m’attendais à entendre du nouveau sous peu. Les mois passent, le concert de novembre à Bruxelles, aucune nouveauté. Je crois qu’à cet instant, j’avais plutôt mal cerné le personnage. Kevin Parker n’accouche pas d’un nouvel album comme ça.

Depuis, il s’est vaguement installé à Paris. Il a aidé à l’enregistrement de deux groupes (Pond et Melody’s Echo Chamber), est adulé par les femelles hipsters qui ont des bandeaux dans les cheveux et des gilets de velours, s’est dégotté une petite française plutôt cute et est devenu une sensation de la musique indie. Pourtant, il cherche toujours désespérément la solitude.

J’ai fini par saisir, au fur et à mesure des écoutes du premier LP, qu’il s’agissait là en fait d’une certaine apologie de l’isolement, du manifeste d’un gars qui, à défaut d’avoir l’air bien dans ses pompes, ne se sent à l’aise que lorsqu’il se recroqueville dans sa tête. Il avait d’ailleurs beaucoup insisté sur le fait que Tame Impala était son projet perso, plus solitaire que solo. Un truc rien qu’à lui, né dans sa chambre, sur les cendres des éphémères Dee Dee Dum. Et à lui seul, il en a fait un monstre de beauté mélancolique qui a mis tout le monde d’accord.

Le succès étant au rendez-vous, la pression ne redescend pas lorsqu’il s’agit de récidiver et d’envisager sérieusement Lonerism. Des sessions d’enregistrement douloureuses, flinguées par une obsession maladive du détail sonore. Kevin Parker enregistre une nouvelle fois seul, entre vertiges, insomnies et questionnements profonds lors de séances de défonce individuelle. Il y incruste le moindre de ses souffles, répand ses propres cendres sur les bandes magnétiques, s’embaume entre les nappes de guitares et de synthés, offrant son corps dans une démarche presque christique. Un suicide du corps, un démantèlement de l’esprit pour une rémission musicale qui nous est offerte.

On ne va pas se leurrer: bien qu’un peu réticent sur les synthés un peu cheap lors des premières écoutes, je peux vous affirmer que ce Lonerism est dans la parfaire lignée d’Innerspeaker, c'est-à-dire un chef d’œuvre, d’avantage sur la démarche que sur l’esthétique. Mais un putain d’album intemporel quand même! Beau à en pleurer sur du sable chaud, beau à se cramer les yeux à force de fixer le soleil à son zénith, beau à se faire mal, beau à se suicider noyé du désespoir d’avoir atteint les limites de la beauté, beau comme un carré blanc sur fond blanc, volatile comme un mirage se dessinant dans une volute de fumée mais tellement proche, jusqu’à s’entendre chuchoter au creux de l’oreille « Why Won’t They Talk To Me ? ». Pourquoi ? Mais parce que tu n’es pas là Kevin, parce que tu n’es qu’un songe, un fantasme aussitôt créé, aussitôt avorté, qui laisse dans les esprits encore troubles ce goût de « J’y étais ! J’y étais ? Que s’est-il passé ? », caractéristique d'un réveil lourd et qui reste dans la bouche quand on entrouvre les yeux au petit matin.

 

Le goût des autres :
9 Laurent 9 Julien L 9 Bastien 9 Soul Brotha 7 Denis 8 Amaury L