Legacy - The Best Of

Mansun

EMI / Parlophone – 2006
par Splinter, le 25 octobre 2006
9

"Nobody cares when you’re gone", affirmait Paul Draper sur "Legacy", l’un des titres majeurs de Six, paru en 1998. Pourtant, l’histoire démontre aujourd’hui le contraire, car, trois ans après la séparation de Mansun, le culte dont bénéficie le groupe outre-Manche ne faiblit pas. A tel point que la sortie de Kleptomania, en 2004, triple album indispensable, gorgé d’inédits et des faces B, n’a pas assouvi la soif des fans, qui continuent de se prosterner devant la posture ironique et anticonformiste de ce groupe incompris, et qui peuvent se réjouir aujourd’hui de la sortie d’un Best Of dont la qualité principale, on le verra, consiste surtout à remettre l’œuvre de Mansun sur le devant de la scène.

En fait, l’idée d’une telle compilation pour un groupe comme celui-ci pouvait apparaître particulièrement saugrenue, pour trois raisons majeures.

En premier lieu, si, bien entendu, le combo a sorti des singles de son vivant, son œuvre ne peut véritablement s’apprécier qu’à l’échelle de ses albums, qui reposent chacun (enfin, surtout les deux premiers) sur un concept, une idée directrice qui lui est propre. Attack of the Grey Lantern, premier album du groupe, s'ouvre et se ferme sur les mêmes notes de violons et raconte la vie de personnes habitant le même village. Les morceaux de Six, second album et chef-d'oeuvre intemporel, s'enchaînent tous sans aucun blanc, si ce n'est l'"Interlude" de Thomas Baker, et forment un tout parfaitement cohérent à la fois idéologiquement, politiquement et sociologiquement. Et, surtout, un titre comme "Six", par exemple, perd énormément dans sa version single, que l’on retrouve ici, d’une durée de 3 minutes 57, qui ne peut prétendre rivaliser, ni musicalement ni émotionnellement, avec la version originale de 8 minutes 07 en ouverture de l’album éponyme, qu’elle fait d’ailleurs plus qu’introduire : elle l’irrigue, en abordant quelques-uns des thèmes qui seront développés tout au long du disque, comme la compromission, la soumission à l’autorité, ou encore la religion.

En second lieu, un Best Of n’a véritablement d’intérêt que s’il est bien construit, ce qui n’est pas forcément le cas ici : plaçant sur un pied d’égalité les morceaux d’Attack of the Grey Lantern, Six, Little Kix, troisième album du groupe, et Kleptomania, dont certains ne méritaient sans doute pas une telle mise en avant, cette compilation ne respecte aucun ordre, ni chronologique, ni émotionnel, et s’ouvre sur "I Can Only Disappoint U" (2000) pour finir sur "Taxloss" (1997) sans jamais justifier ce chaos apparent.

Enfin, ce Best Of fait a priori double emploi avec le recueil "Promo Only", anthologie parue en 2000 pour précéder la sortie de Little Kix, certes non disponible à l’époque dans le commerce mais que l’on peut acquérir raisonnablement facilement sur un célèbre site de ventes aux enchères en ligne. Naturellement, ce Best Of est plus complet puisqu'il contient des morceaux de Little Kix et Kleptomania, mais on ne peut pas dire que ce soient les plus réussis dans le répertoire de Mansun.

Malgré tout, une telle compilation n’est pas totalement inutile, tant pour les fans que pour les nouveaux venus.

D’abord, Paul Draper sait bien faire les choses. Il l’avait déjà prouvé avec ses notes dans le livret de Kleptomania et il le démontre à nouveau grâce, encore une fois, à ses commentaires particulièrement instructifs sur chacun des titres présents. Ainsi, tous ceux qui se seront arrachés les cheveux à tenter de comprendre ce que peut signifier une phrase comme "The nature of uncarved blocks is how to describe, what’s hard to describe" sur "Shotgun" seront ravis d’apprendre que le sens des paroles de la plupart des morceaux de Mansun, souvent dignes d'un débile profond pour l’auditeur moyen, est en fait caché au fond… de l'âme de Draper ! Ou encore que les chansons de Six l'album ont été conçues dans l'ordre chronlogique, à partir de trente bouts de chansons différents, ce qui explique évidemment les nombreux mouvements au sein de chaque morceau et la noirceur des derniers, en particulier de "Legacy", alors que Draper avait déjà tout donné.

Le tout est absolument passionnant et ce sont donc ces notes qui font la richesse de ce Best Of en exprimant de manière parfaitement assumée ce que tous les fans pressentaient, à savoir que la tiédeur de Little Kix est essentiellement due à la conscience de Draper d’avoir donné naissance à un monstre, Six, et au constat de son incapacité à lui donner une suite convenable : "J’ai eu le sentiment de ne jamais pouvoir faire un nouvel album après Six", concède-t-il dans ses notes sous "Legacy". "Cet album m’a trop coûté". Puis, plus loin : "Où pouvions-nous aller après Six ? Je sais ! Vauderville, les années 50, les Beach Boys…". CQFD. Ce retour en arrière objectif et émouvant légitime à lui seul l’achat de ce Legacy.

Ensuite, la compilation est vendue avec un DVD bonus qui, d’une part, recense tous les clips de Mansun, ce qui vaut son pesant de cacahuètes pour peu que l’on trouve un intérêt à mater des vidéos kitschissimes et produites avec trois bouts de ficelle, et, d’autre part, contient un documentaire franchement emballant sur l’histoire et l’œuvre de ce groupe essentiel et largement sous-estimé, qui continuera de hanter encore et encore celles et ceux dont il est parvenu à toucher l’âme.

Vraiment, ce groupe atypique à l’œuvre inusable et controversée mérite d’être découvert et redécouvert, de sorte que cette compilation, dont l’objectif purement mercantile ne peut être occulté, surtout de la part d’une major comme EMI, parvient in fine à convaincre par un contenu assez exceptionnel compte tenu des circonstances.

Le goût des autres :
8 Popop