K.T.S.E.

Teyana Taylor

G.O.O.D. Music – 2018
par Jeff, le 4 juillet 2018
8

Au beau milieu d'une période assez trouble qui a vu Kanye West réactiver son compte Twitter pour se lancer dans des tirades qui feraient passer Franck Ribéry pour un prix Nobel de philosophie, il a été bien difficile de croire qu'il tiendrait sa promesse de pondre cinq disques sur une période si courte, poussant le vice jusqu'à annoncer toutes les dates de sortie quand on sait que le rappeur lambda a à peu près autant de respect pour un calendrier que Ramzan Kadyrov en a pour les homosexuels et les opposants politiques.

Pourtant, son Ye, son album collaboratif avec Kid Cudi et ses disques pour Pusha T et Nas ont réussi le petit exploit d'éloigner Kanye des pages people et société, lui qui avait pourtant touché le fond avec ses saillies pro-Trump et ses déclarations sur l'esclavage ("When you hear about slavery for 400 years ... For 400 years? That sounds like a choice." lol). Un sacré Grand Chelem donc, doublé d'un vrai emballement médiatique dont Teyana Taylor aurait logiquement dû profiter. Mais on sait que la logique ne s'applique ni à ce que touche Kanye, ni à l'industrie musicale.

Et donc, c'est un peu dans l'indifférence et la confusion qu'est arrivé K.T.S.E., second album de la chanteuse américaine. L'indifférence, on peut probablement l'attribuer à la frilosité congénitale dont souffrent tous ces pseudo-connaisseurs qui te disent "écouter de tout", alors que ce tout correspond en fait aux 20 trucs que les algorithmes de YouTube et Facebook veulent bien leur fourrer dans le gosier. Quant à la confusion, on peut l'attribuer à un plan promotionnel foireux, avec un disque qui a tardé à pointer le bout de son nez sur les réseaux, et dont on nous avait promis une nouvelle version "finale", incluant des samples de Lauryn Hill et Sade, qui ne verra finalement jamais le jour - "A lot of clearance issues, shit takes time" selon l'intéressée. Une situation d'autant plus triste qu'on tient probablement avec K.T.S.E. le meilleur disque de cette Yeezy Season, juste derrière DAYTONA.

Mais contrairement à ce dernier, K.T.S.E. nous laisse un goût amer de trop peu. D'abord parce qu'on y entend une fille qui lâche vraiment la bride et s'expose en dehors de sa zone de confort - ce qu'elle n'était pas arrivée à faire sur un premier album bien trop convenu pour être mémorable. Ensuite, il y a bien évidemment le travail de production de Kanye West, qui peut enfin s'exprimer dans un contexte un peu moins hystérique qu'à l'accoutumé. Ces dernières semaines, Kanye West est souvent revenu à ses marottes de jeune producteur, quand le "Louis Vuitton Donc" samplait / pitchait de la soul jusqu'à l'écœurement. Les diggers entendront sur K.T.S.E. des bouts de Delfonics ou de Sly & the Family Stone, sauf que cette fois, la technique se mélange régulièrement à d'autres facettes du bonhomme, ce qui rend le travail réellement passionnant. Et si cette propension à laisser parler le "old Kanye" joue clairement en la faveur de MCs qui rappent à l'ancienne, cela fonctionne également à merveille sur un disque de R&B, avec une Teyana Taylor dont la technique vocale évoquent régulièrement Mary J. Blige - pas étonnant d'ailleurs qu'elle soit apparue sur un titre de Vince Staples qui sample la diva des 90's.

À l'arrivée, confronté à un disque d'une telle qualité, on se dit que Teyana Taylor est vraiment extrêmement mal payée, surtout quand on voit l'emballement qui a entouré la sortie du Lost & Found de Jorja Smith - on vous rassure, on a été les premiers à se faire dessus. On compte maintenant sur vous pour battre votre coulpe...

Le goût des autres :
8 Amaury 7 Ruben 7 Maxime