Kill For Love

Chromatics

Italians Do It Better – 2012
par Michael, le 22 mai 2012
9

Pour ceux d'entre vous (et j'en fais partie) qui rêvent de conduire des bolides de nuit dans les rues de Los Angeles comme Ryan Gosling dans Drive, mitaines en cuir et blouson de baseball argenté, une bande son permet de réaliser ce fantasme über-masculin à peu de frais et sans vous attirer trop d'ennuis avec les forces de l'ordre. Il suffit d'écouter Kill For Love en nocture, lumières éteintes et yeux fermés, les écouteurs sur les oreilles au fond de son lit, ou très fort au volant dans des rues désertes ou presque. Et là vous vous direz que la mélancolie peut être un sentiment d'une profondeur insondable et d'une force à la fois anesthésiante et hautement stimulante.

La référence au chef d'oeuvre de Nicolas Winding Refn n'est pas innocente. La bande originale du film, qui est pour beaucoup dans l'atmosphère si particulière de celui-ci, entre onirisme, pureté et naïveté, regroupe en effet les figures de proue de l'écurie Italians Do It Better, à savoir Desire, College, Electric Youth et les Chromatics, objets de cette chronique. Une écurie dont l'un des co-fondateurs, Johnny Jewel, est non seuelement le cerveau de ces derniers mais également l'un des membres de Desire et de Glass Candy. Le succès de ses poulains lui a mis le vent en poupe, ce qui est d'autant plus louable au vu de la distribution, des visuels et de l'esthétique plus qu'artisanale du label, à contre-courant de la promo à tout crin dont nous sommes quotidiennement abreuvés. Bref, un esprit qui vit pour et par la musique, dans un mode de fonctionnement DIY plus que rafraîchissant.

Kill For Love est ainsi un album assez fascinant. Expression d'une mélancolie froide et nocturne telle qu'évoquée plus haut, il nous happe dès la reprise introductive du célèbre "Into The Black" de Neil Young. Une version qui, bien que musicalement assez fidèle à l'original et simple, flotte dans une espèce de léthargie comateuse grâce à l'interprétation très personnelle de Ruth Radelet. A partir de là, on ne redescendra pas de voiture avant la fin du voyage, passionnant presque de bout en bout si l'on excepte les deux morceaux portés par un autotune artisanal dont on se serait volontiers passé ("These Streets Will Never Look The Same" et "Running From The Sun"). Surtout au vu de la finesse déployée tout au long de l'album par mademoiselle Radelet, qui d'une froide et blanche candeur égrène les paroles avec la douceur de la neige qui tombe sur la noire asphalte. A l'écoute de titres tels que "Back From The Grave", Kill For Love", "The Page" ou encore "Candy" on a l'impression de retomber dans un monde adolescent, où la puissance des sentiments est décuplée et teintée de noirceur, lui donnant encore plus de force et de langueur. 

Une des forces des Chromatics vient d'ailleurs de cette subtile analyse et description des tourments de l'âme via une musique et des paroles qui flirtent toujours avec le kitsch sans jamais y sombrer, en déployant un songwriting qui touche à l'essentiel sans être caricatural. Des mots simples qui en disent long, entre contrepieds et ellipses, descriptif et allusif. La fragilité est omniprésente dans ce long mais très cohérent album. L'instrumentation est certes simple (du moins à première vue) mais on sent que chaque son, chaque note a été réfléchie et pensée comme une partie d'un tout et non une collection de morceaux épars réunis sur une galette plastique. On trouve ainsi quatre instrumentaux qui offrent une vraie respiration à l'album, mettant encore plus en valeur les morceaux chantés.

Vous l'aurez compris, Kill For Love est un album dense et intense, le type de ceux qui vous trottent encore et encore dans la tête de manière évanescente mais néanmoins présente. Et même si on reste dubitatif sur le fait que les Italiens le fassent mieux que les autres, les Chromatics n'ont en tous cas plus grand-chose à prouver en termes de performances musicales.

Le goût des autres :
7 Laurent 7 David 8 Maxime