Kankyō Ongaku: Japanese Ambient, Environmental & New Age Music 1980-1990

Various Artists

Light In The Attic – 2019
par Aurélien, le 2 avril 2019
9

Il y a quelque chose de fascinant dans l’ambient : sa faculté d’être le reflet de son environnement et du climat social dans lequel ses morceaux sont composés. Quand les premiers travaux du godfather Brian Eno se parent d’une indicible noirceur sur la trilogie berlinoise de David Bowie, ses Music For Airports sont porteurs d’une forme d’optimisme et de légèreté propre aux voyages. Quelques décennies plus tard, du côté de Cologne, les ritournelles soniques de Gas semblent vouloir donner une couleur quasi-club au genre, avec leurs kicks techno rythmés par les vagues successives de nappes. Enfin, les albums denses et torturés de Tim Hecker cachent difficilement la pesanteur de leur époque, minée par la profonde crise de confiance politique et économique qui accompagne la montée des extrêmes.

Les États-Unis et l'Allemagne n'ont toutefois pas le monopole du genre, et dernièrement un pays est devenu un véritable eldorado de la musique ambient : le Japon. L’an dernier déjà, WRWTFWW Records, la structure du Suisse Genevan Heathen, connue pour ses belles rééditions en provenance du pays du Soleil-Levant, s’était offert le luxe de rééditer un classique : Through The Looking Glass de Midori Takada. La production extrêmement dense dans ce pays durant les années 80 et 90 et l'économie de moyens si chère au style lui ont permis de connaître une résonance significative dans ces contrées où la spiritualité fait partie du quotidien.

L’occasion était trop belle pour Light In The Attic, déjà à l’origine d’une indispensable compilation de folk nippon, d'explorer ce pan de la culture japonaise qui soulève une certaine curiosité (voire une curiosité certaine) chez les diggers du dimanche. Pour mener à bien sa mission, le label américain a recurté Spencer Doran, moitié de Visible Cloaks. Et ce dernier de proposer une exploration d'un genre que l’on connait plutôt dans nos contrées sous l'appellation "new age", courant artistique auxquels s’associent des concepts attenants à la paix intérieure et la religion.

La quête spirituelle, justement, semble au cœur de Kankyō Ongaku. Quelque part entre les expérimentations des Music For de Eno et le ton plus onirique des bandes-son de Joe Isaishi, le voyage ici proposé est fascinant et loin d'être de tout repos. En réunissant des artistes aux profils souvent uniques, cette compilation offre une photographie très précise de ce que le genre produisait de mieux à l'échelle locale. Elle réussit également à tirer parti du cadre étroit que l'économie de moyens impose, parvenant même à s’en émanciper occasionnellement pour partir explorer des contrées plus proches du field recording et d'autres facettes de la musique oblique. Pour autant, jamais cet attrait pour l’expérimentation pure ne cherche à nuire à cette écriture féline et insaisissable, dont elle tire son caractère profondément spirituel et surtout intemporel – d’ailleurs on imaginerait sans trop de mal certains titres de Kankyō Ongaku figurer sur les compilations Pop Ambient du Kompakt de la belle époque.

Au final, ces titres sont autant de pièces de musique dans lesquelles il est bon de se perdre, de se laisser submerger jusqu’à la noyade. Ce plongeon dans les limbes du subconscient est aussi et surtout une porte d’entrée magnifique à tout ce pan trop méconnu de la musique ambient, et qui va gagner en intérêt dans les mois et années à venir, à mesure que les labels rééditeront ses oeuvres les plus indispensables et que les DJ les plus curieux smettront en lumière ses classiques.

Le goût des autres :