Just A Souvenir

Squarepusher

Warp – 2008
par Simon, le 31 octobre 2008
6

Warp vit une époque de transition, c’est indéniable. En effet, l’écurie qui a vu naître en son sein les plus grands talents de la caste électronique connaît cette année des mutations sans précédent. Vingt ans nous séparent à présent des premiers frissons provoqués par l’acid house de LFO et des élucubrations des premiers maîtres à penser de la drill’n’bass prosaïque et de la terreur cosmique (Richard D. James, Autechre, Boards Of Canada). Vingt ans que le label traîne sa patte aventureuse avec fierté et avant-gardisme, porté au plus haut par des guerriers du son incontournables et ayant su rester fidèles à la perpétuation de cette image de marque si durement conquise au fil des années. Mais vingt ans après, la réalité est que Aphex Twin s’en est allé vers sa propre structure, les disques d’Autechre peinent à convaincre, Prefuse 73 n’est plus que l’ombre de lui même et l’acid house d’antan a depuis longtemps été délaissée aux éternels nostalgiques. La structure est désormais dépouillée. Preuve s’il en est d’une rupture qui se laissait attendre depuis plus d’un an, le label pense maintenant à recycler ses fonds de caisse en piochant dans des catalogues moins obtus : Flying Lotus (dont le récent album est à lui seul la preuve que cette vieille dame a encore de beaux restes), Battles ou encore !!!, toutes ces nouvelles pousses à qui revient la lourde tâche d’assurer au label un avenir qui s’annonce brumeux.

En ce sens, le nouvel album de Squarepusher s’inscrit parfaitement dans cette logique d’auto-destruction iconographique en proposant tout naturellement un album à mille lieues de ce qui pouvait faire la gloire passée du roi de l’IDM jazz. S’assumant complètement dans la droite ligne organique de Hello Everything, Just A Souvenir se présente avant tout comme un récital ultra-orchestré d’une prose malade qui fut sienne autrefois. Ajoutant sans vergogne guitares électriques sauvages et gimmicks electro jazz aux lignes de batterie faiblardes qui faisaient loi dans le précédent opus, Tom Jenkison continue de se dénaturer titre après titre, jouant de sa guitare basse comme un retraité jugerait d’une vie trop bien remplie. Souvent poussif et regretté, l’arrogance déployée par l’Anglais désarçonne tout simplement par sa maturité et sa conscience de la musique : peut-être est-ce là le sort d’une carrière passée à écumer les tréfonds d’une musique qui, par définition, passe son temps à se chercher. Quitte à défoncer des portes ouvertes, autant s’offrir le luxe de déplaire à son public en le nourrissant d’une œuvre prétentieuse et trop fouillée pour être jugée à sa juste valeur dans un contexte troublé et peu enclin à faire des efforts d’interprétation.

Il n’en reste pas moins que l’attitude de Squarepusher révèle à merveille les circonstances qui entourent, et qui ont très certainement entouré, le producteur depuis ses débuts : méprisant et exceptionnel, passant son temps à se branler sur ses talents de multi-instrumentaliste, Tom Jenkinson joue dos à son public comme les grands jazzmen de ce siècle. Toujours est-il que ce disque ne surpassera jamais le « jusqu’au-boutisme » d’Ultravisitor, l’audace foireuse de Go Plastic ou le talent insouciant de Music Is Rotted One Note, trop occupé à perfectionner une musique vieille de sa lisse perfection. Cet album sonne comme un adieu car il n’y a plus rien à attendre de synthétique dans les travaux futurs de Squarepusher, Just A Souvenir n’est finalement que l’apogée de la démarche artistique de l’Anglais, le jazzman ne suivant que son propre instinct, faisant fi des attentes placés en lui.

Tout comme Autechre et son récent Quaristice, Squarepusher semble chuter sur son époque, dépassé pour la première fois. À la créativité intouchable, nos anciens ténors ont préféré un isolement qui ne leur ressemble que peu. A présent seul contre tous, le label opère une opération à cœur ouvert, dont ce Just A Souvenir n’est qu’une complication de plus. Il ne vous reste plus qu’à vous faire une opinion sur ce nouveau disque, conscients malgré tout que la pilule est cette fois encore bien difficile à avaler et que la furie à laquelle le label nous avait habitués jadis n’est plus. Un docteur, vite, un docteur.

Le goût des autres :
6 Julien