J.O.$

Josman

Choke Industry – 2018
par Amaury, le 17 septembre 2018
8

Avoir le disque de Josman chez soi est tout aussi classe que la plus belle des tables basses, design et travaillée, sur laquelle tu parviendrais à ne jamais te péter les genoux, malgré sa multitude d’angles et de coins bien acérés. Le MC originaire de Vierzon sort ici un premier album ciselé au possible, voire hyper réfléchi, sans pour autant proposer un produit intellectualisé au point de frôler la structure étouffante et carrément lourdingue.

Le point d’orgue de J.O.$ repose littéralement sur la maîtrise. D’abord textuelle. Son écriture est riche et dense, en constante progression. Elle ne présente pas les éternelles reprises et répétitions des tendances américaines qui ont aujourd’hui bien décidé d’éclater les thématiques ou les morceaux fleuves. La voix – le texte –, en plus de développer une pléthore d’images, joue le rôle d’une basse qui offre au reste de la prod’ la charpente sur laquelle elle peut se reposer. Une ligne claire au milieu des nappes sombres, des atmosphères fumeuses et volatiles. Pourtant, s’il ne crie jamais, s’il ne marmonne pas non plus, Josman fait défiler les mots avec rythme, comme une allitération permanente – à s’y perdre enfin entre fond et forme, contenu et expression. Au bord d'la crise d'épilepsie, que des futilités, que des inepties / Ça bouge ap, c'est l'inertie, j'te mets ienb, tu m'dis merci.

Ce tourbillon emporte avec lui les distinctions entre école française et américaine sur tous les autres aspects de la musique : les adlibs sont lâchés avec sobriété et ne sont plus systématiques. L’autotune apparaît toujours comme une coloration supplémentaire à la voix de front, pure et brutale. Au premier abord, on reconnaît d’ailleurs le phrasé de l’âge d’or du rap français, nuancé par d’autres manières actuelles pas si éloignées, que l’on retrouve notamment chez Prince Waly, ISHA ou Ichon. Et puis, en quelques soubresauts, ce roulement hexagonal s’écarte sur des syncopes propres au continent américain. Pour faire simple, Josman joint l’excellent du boom bap au succulent de la trap ; Josman allie pur son et pur sens. Si j'perds un game, j'vais gagner l'next / Des millions d'balles, j'vais l'gagner l'net – On fait nos bails, on fait nos vies / On veut notre maille, on veut notre biz

On n’avait plus croisé depuis longtemps de vrais textes – aiguisés dans leur linguistique – qui pouvaient tout autant envoyer des gauches droites que provoquer des coups de hanches ou des coups de chant. Et si ce mélange de morceaux proches des ambiances de boîtes, d’une part, et des mixtapes des ruelles, d’autre part, a pu une fois ou l’autre se retrouver sur un projet, il ne constituait au final que le cœur de ce type d’album « playlist » que les ricains ont pris pour habitude d’écouler sans aucune honte – à tort.

Dans le cas de J.O.$, l’éclectisme prend justement part à l’identité du disque, unique – une identité, cette dimension si nécessaire aux grandes œuvres. Par son empreinte, qui traverse les 16 titres en les unissant tous malgré leurs natures parfois fort différentes, Josman vient de sortir un projet complet sur lequel il n’y a d’abord rien à jeter, mais au travers duquel, surtout, s’exprime un artiste au sens noble. Ce genre de mec dont les qualités parviennent à contenter les masses – des auditeurs distraits aux oreilles pointues – sans aucun compromis.