Have One On Me

Joanna Newsom

Drag City – 2010
par Adrien, le 29 avril 2010
9

L'année 2010 s'annonce déjà comme celle du freak folk. Après le sublime Heartland du génial Owen Pallett et une flopée d'autres sorties dans son sillage, la petite princesse du folk psychédélique accouche enfin de son troisième album. Et quel album! Depuis plusieurs années, Joanna Newsom enchante son petit monde avec ses mélopées charmeuses, marquées par la voix nasillarde à souhait de la demoiselle, des compositions aux allures de ballades poétiques mais aussi et surtout des talents de harpiste hors du commun.

Déjà détentrice d'une oeuvre magistrale qui a par bien des égards suscité les dythirambes de la presse spécialisée et des avis beaucoup plus oscillants entre auditeurs conquis et d'autres insupportés par la voix de la miss, Joanna Newsom s'est imposée au fil des années comme l'une des artistes les plus intrigantes et insaisissables de la scène indie. En 2004, The Milk-Eyed Mender posait déjà les jalons de sonorités particulières, voguant entre tradition médiévalesque et modernité folk. On se doutait, à l'écoute de ce premier album, que Joanna Newsom, alors tout juste âgée de 22 ans, avait plus d'un tour dans son sac. Réponse deux ans plus tard avec le prodigieux Ys, magnifique par ses arrangements orchestraux et l'aptitude de chaque morceau à immerger corps et âmes l'auditeur dans un univers pictural, féérique et intemporel. Ce qui ressortait par dessus tout de cette galette de cinq longs titres était l'étonnante prise de maturité de sa génitrice, tant par ses vocales plus doucereuses que par la densité des pièces instrumentales. Quatre ans de silence discographique et revoici notre chère harpiste sur le devant de la scène avec Have One On Me, album concept plus insondable que jamais.

Dès l'annonce du concept album (trois galettes pour dix-huit chansons et 120 minutes de musique!), on se doutait bien qu'il allait falloir des semaines pour apprivoiser la chose comme il se doit. Et à l'instar de miss Newsom qui aura pris son temps pour nous offrir cette nouvelle réalisation, on aime à se prendre au jeu, à se laisser entraîner par la fée enchanteresse des heures durant. Jamais les aller-retours vers l'univers feutré et boisé de la harpiste n'auront été aussi captivants. On se surprend même à découvrir à tout moment de nouvelles subtilités, un agrément cuivré, une note de musique opportune, des inflexions vocales lumineuses, bref tout un univers en constant mouvement. Mouvement qui se retrouve dans la décomposition de l'oeuvre en trois humeurs puisque du disque premier au disque trois, la musique de Joanna Newsom a le don de nous faire découvrir une myriade d'émotions. Par sa sensibilité des plus exaltées qu'on lui connaît et qui aura fait jusqu'ici tant de miracles, la miss parfume son oeuvre de senteurs délicates, tourbillonnantes de mélancolie, de quiétude et d'allégresse.

Mais Have One On Me, c'est avant tout une oeuvre d'art, un peu à l'image de ce que l'Américaine nous avait proposé avec le magnifique Ys. De la pochette signée Jarvis Glasses qui souligne toute la féminité de la harpiste au visage d'ange, aux textes prolixes de l'auteure, soit de véritables poèmes au vocabulaire et à l'articulation des plus limpides, en passant par les orchestrations du Ys Street Band (guitare, mandoline, banjo, flûte, tambour, violon, violoncelle et même saxophone, hautbois ou trombone), Have One On Me s'inscrit comme preuve de la maturité toujours plus prégnante de sa génitrice.

Le voluptueux "Easy" en guise d'entrée annonce clairement la couleur : Joanna Newsom est une artiste complète, aussi talentueuse au piano qu'à la harpe, dont la voix semble d'autant plus maîtrisée, loin des excès aigus qui caractérisaient parfois Ys et bien plus encore The Milk-Eyed Mender. S'ensuit alors une ballade à travers les âges et les folklores, des dispositions médiévalesques de "'81" et une ribambelle d'autres morceaux aux épopées fantastiques de l'enivrant "Kingfisher" et "No Provenance". Et quand l'album ne délivre pas des morceaux doucereux, à l'image de "Baby Birch" ou encore "You And Me, Bess" qui sonne comme une réponse au "Jog Along Bess" de sa mère spirituelle Vashti Bunyan, Have One On Me part dans des pérégrinations aventureuses, comme le laissent entendre les géniaux "Good Intentions Paving Company" et surtout "Soft As Chalk" et ses voiles de piano ondulés par la voix de la miss, dans ses plus belles teintes aiguës.

Car ce qui surprend dans cette oeuvre gargantuesque, c'est le mariage improbable entre homogénéité et hétérogénéité, à tel point que la harpiste brouille les pistes et nous invite à nous perdre dans son univers. Hétérogène dans sa combinaison des genres, des instruments, des émotions mais également homogène dans la durée relativement équivoque de ses différentes pistes et dans la cohérence et les enchaînements parfaits entre chaque morceau. On le savait: Joanna Newsom est une artiste surprenante. Quand nous pensions, à juste titre, que la belle harpiste avait atteint des sommets avec Ys, Have One On Me va plus loin et montre à quel point l'Américaine a encore de charmantes incantations à nous sussurrer délicatement à l'oreille. Elle prouve également à cette occasion que la musique folk recèle de surprises et d'expériences insoupçonnées et fait de ce nouvel album le postulat rêvé d'un genre musical qui a encore de passionnantes contrées à explorer.

Le goût des autres :
6 Nicolas 9 Simon 9 Julien L 5 Laurent