Hadès

Mondkopf

In Paradisum – 2014
par Bastien, le 7 mars 2014
7

C'est avec une certaine incrédulité que l'on a vu s'emparer des internets ce qu’on pourrait qualifier de « Mondkopfmania ». Et si un passage en radio est une consécration, on se demande bien ce que l'auditeur lambda de France Inter, radio sur laquelle a en partie été dévoilé l'album, a dû piger de l'interview du producteur parisien. Généralement plus intéressé par l'affaire Gayet que par un quelconque renouveau du mouvement techno français, on a du mal à croire que Perc Trax évoque pour lui autre chose qu'une marque de détergent.

On a donc très logiquement vu se succéder les chroniques dithyrambiques d'Hadès, sans savoir si cela relevait du phénomène « jeune producteur français techno à la cool» ou bien d'une analyse poussée du dernier effort de Paul Régimbeau. De notre côté, on peut se targuer d'avoir vu le bougre plusieurs dizaines de fois en live ou dj set, d'avoir écouté l'ensemble de sa discographie depuis le permier jour, de suivre l'actualité de son label et de rôder ses sélections mixées comme un faucon suit sa proie. Si un diplôme existait pour cela, nous serions titulaire d'un doctorat ès Mondkopf, mention In Paradisum. C'est donc du haut de notre chaire, armés de notre parole experte et prétentieuse que nous allons tenter d'analyser si Hadès est bien le bijou que tout le monde semble acclamer.

La première chose à mettre au crédit de Mondkopf, c'est sa capacité à évoluer sans cesse, et surtout sans avoir à regarder autour de lui. Par touches successives, on a pu constater une évolution vers un son toujours plus radical, se dirigeant toujours là où le vent techno venait à le mener, contre-pied inclus dans la formule. Pour finir, depuis peu, sur une sorte de synthèse officieuse entre techno, noise, trance et indus, sans se départir d'une patte reconnaissable entre mille – bien coincée entre légèreté de l’effort et lourdeur physique du résultat. On soulignera ici la force évocatrice de cet album, une qualité indéniable qui caractérise Mondkopf depuis ses débuts french-touch. Mais sur Hadès, le Parisien a encore aiguisé sa trame narrative et son goût pour le visuel musical. Le voyage vers les Enfers que nous avait promis Hadès (et tout qui semblait mener ce disque sur cette voie) est de ce point de vue une réussite totale.

Pourtant, il y a quelque chose qui nous chagrine, une gêne comme un putain de caillou dans la godasse au moment de taper une marche militaire en pleine nuit. Pour être plus précis (et plus honnêtes), ce défaut est en réalité sa principale qualité. Un vrai nœud de frustration que seul le temps pourra défaire. Il semble que ce malaise tienne à l'écart qu'il existe entre l'esprit et la lettre de l'album. Hadès se veut être une plongée dans un royaume de feu et de sang, pourtant musicalement le déchainement n'arrive jamais à son point paroxysmique, la faute peut-être à une production trop carrée. On a trop souvent l'impression que les coups sont retenus, que le son manque d'aspérité et d'immédiateté pour nous faire ressentir ce cheminement tortueux et pénible qui nous était promis. Contrairement à ce qui a pu être dit ailleurs, ça manque peut-être de sludge, d’esprit black metal (pourtant, dieu sait si on est au courant qu’il aime ça). On se tient comme un peu à l'écart du bouillonnement, en spectateur attentif, là où nous aurions aimé avoir le premier rôle sur scène.

Difficile d’ailleurs de ne pas faire le parallèle avec Somaticae (premier LP sorti sur le label), qui avait réussi à merveille la combinaison entre la virulence de l’évocation et le jeu de rôle total, en offrant un album totalement corrosif et immersif à l’extrême. Cet écart est d'autant plus frustrant que l'on connaît les potentialités de Mondkopf à nous servir un matériau brut comme l'ont démontré avec brio les EP’s Ease Your Pain et The Nicest Way. Ce hiatus bride quelque peu l'album et empêche peut-être Hadès de se placer comme le chef d'œuvre qu'il aurait du être. Si on sent toutes les potentialités qui s'offrent à Paul Régimbeau dans une configuration live avec un tel matériel de base, on ne cessera de se rabattre sur les pistes beatless de l’album, véritables perles de contemplation et de dépassement mental (une oreille aux superbes « We Watched The End » ou « Absences » devrait vous en convaincre facilement).

Peut-être finalement qu’on ne devrait pas s’en tenir là, et accepter le fait que Paul Régimbeau demeure, malgré son jeune âge, comme l’un des producteurs les plus libres et les plus convaincus de sa génération. Se refuser à rentrer dans des codes de genres à jouer, de soirées à organiser ou de labels à mener, c’est peut-être ici que se joue tout le virtuose de ce gendre idéal. Et même si on laissera au temps sa capacité à délier les frustrations de surface, on garde ce Hadès précieusement sous le bras pour le relancer à chaque fois que nos envies de liberté se referont sentir. Ressentir à nouveau la transe, et se perdre sans cesse dans l’infini des formes.

Le goût des autres :