Grinderman 2

Grinderman

Mute – 2010
par Serge, le 29 septembre 2010
7

Le truc qui gêne avec le projet Grinderman, c'est la façon dont il se vend. Dans les médias, nouveaux comme traditionnels, bons comme ringards, à peu près tout le monde s'accorde à parler de rock lubrique, sauvage et incantatoire, de récréation pour Nick Cave et quelques-uns de ses Bad Seeds, d'espace de liberté et de détente à opposer à leur carrière nettement plus sérieuse et cadrée qu'ils mènent depuis presque trois décennies. Il y a là comme une amnésie collective et entretenue absolument dérangeante, une encule digne de la pire épicerie vendant des surgelés sortis de frigos chaque nuit débranchés. Parler de Grinderman comme d'un truc libre et fou, c'est oublier que l'homme derrière le micro fit un jour partie de The Birthday Party et commit aussi ensuite les indispensables et décavés (haha!) The First Born is Dead et Tender Prey. Des disques où la fureur, le malaise, le sexe, le blues, la folie et l'incantatoire sonnaient drôlement plus extrême, drôlement plus urgent et drôlement plus spontané que la bouillie au fond bien aimable proposée sur les deux albums de Grinderman, disques où il s'agit surtout pour une bande de vieux briscards de tirer sur quelques vieilles et grosses ficelles post-punk dont c'est justement l'usure, il y a plus de 20 ans, qui les fit dévier vers un format davantage pop et accessible.

Nick Cave a surjoué de son image de crooner diabolique et d'affreux connard prétentieux se prenant très au sérieux durant une bonne partie des années 80 et 90 mais cela fait maintenant un bout de temps que l'on sait finalement l'homme aussi capable d'humour, de distance et, surtout, de cabotinage. Si en diagonale, la discographie des Bad Seeds se rappelle au bon souvenir de beaucoup comme étant une longue suite de chansons bien écrites, bien chantées et bien orchestrées, il faut tout de même garder à l'esprit qu'en creusant à peine plus et en écoutant quelques faces B, la sauvagerie et l'incongru n'ont en fait jamais été absents de l'univers de Nick Cave & The Bad Seeds. On peut dès lors poser la question de l'utilité de Grinderman, projet musical qui reste du Nick Cave pur (nez de) porc et dont les meilleures chansons n'auraient pas du tout dépareillé les albums des Bad Seeds, y compris les derniers, les rendant éventuellement même meilleurs qu'ils ne le sont! Bref, il y a comme une suspicion de dispersion et de gâchis dans l'air...

Peut-être que Nick Cave est tout simplement atteint de priapisme artistique? Sa grosse daube de dernier bouquin, le scénario débile de suite à Gladiator (avec Russel Crowe revenu des Enfers!!!), cet autre scénario qu'il écrirait pour un reboot de The Crow... Il semble évident que le démon de midi donne à l'Australien une banane du feu de Dieu mais très concrètement, pour quelques belles et grandes réussites (les magnifiques BO de films composées avec Warren Ellis), cela se traduit tout de même majoritairement par du portenawak assez monumental. Entre ces deux extrêmes, le WTF et le sublime, navigue donc Grinderman. Ce deuxième opus est plus direct et allumé que le premier, meilleur donc. Mais cela n'en reste pas moins un disque majoritairement banal. Il semble acquis que ces messieurs sont très indulgents envers ce qui sort de leurs séances, entendu que pour quelques moments agréables et emballants (attention, on a bien écrit « moments » et pas « chansons »), on se farcit tout de même pas mal de musiques peinant à dépasser le stade de bruit de fond. Là encore, cela rejoint l'idée de priapisme artistique et de taux de sérotonine qui fait voir les choses bien davantage merveilleuses qu'elles ne le sont réellement. En soi, Grinderman 2 n'est jamais totalement mauvais mais son côté cabot ennuie car venu de mecs connus pour leur perfectionnisme.

Il n'a pas beaucoup d'intérêt parce qu'il a déjà été fait, en mieux, y compris par les principaux intéressés. Il n'a pas beaucoup d'intérêt parce que ce disque est un caprice de star, du même ordre que les fadaises industrielles sorties par David Lynch ou l'album electro de Paul Mc Cartney. Essayez de sortir exactement le même sous le nom de Carlos Dolto & Ses Big Bisous et il vous sera étrillé à la serpette, accablé comme une version proprette du Birthday Party, bref, considéré comme parfaitement dispensable. Jamais désagréable, parfaitement dispensable. Cela sonne comme une définition applicable à 90% de la musique qui sort aujourd'hui. Dommage, vraiment, que l'un des seuls types dont la carrière semblait jusqu'ici l'antidote parfait à cette malédiction finisse par lui-même se laisser aller à la facilité mercantile, feignasse et faussement cool.

Le goût des autres :
5 Laurent