Grand Siècle

Orgasmic & Fuzati

Les Disques du Manoir – 2014
par Aurélien, le 8 mai 2014
7

En 2012, la réactivation du Klub des Loosers s'apparentait à un gros hold-up: on attendait Fuzati précisément là où on l'avait laissé, et au lieu de cela on l'a retrouvé en génial trentenaire désabusé sur La Fin de l'Espèce. Le propos ferme, mûri par un silence à peine troublé par les deux opus du Klub des 7, même les Versaillais ne semblaient pas croire que le emcee masqué puisse renouer à ce point avec le succès. C'est pourtant la longévité de la tournée post-La Fin de l'Espèce, initialement une petite poignée de dates, qui parlera d'elle-même: le Klub vieillit bien. Et entre les mixtapes et les projets annexes (Last Days), Fuzati tend même à se muer en une prolifique touche-à-tout. Bref, tout pour nous rappeler que rien ne prédestinait Fuzati et Orgasmic à bosser à nouveau ensemble, sinon la nostalgie de l'époque Grekfrites ou le réel désir de construire de nouveau quelque chose de fort.

Car pour celui qu'on appelait Orgaga le Toxicologue, l'époque semblait révolue. L'ancien DJ fou responsable des inoubliables scratches de "Baise les Gens" ou de ce mix foutraque et génial mène aujourd'hui une vie rangée, bien planqué derrière les platines du Sound Pellegino Thermal Team, toujours à l'affût de la playlist parfaite. Cette chasse l'a naturellement amené à délaisser ses claviers et sa MPC - surtout après la douloureuse aventure Stunts qui a marqué la fin de l'âge d'or d'Institubes. Un mal pour un bien diront certains. Il n'empêche que cette anicroche a renvoyé au placard un beatmaker capable de grandes choses avec un acapella de rap sudiste, des claviers eurodance et quelques samples interdits.

Le temps les a éloigné donc, mais pas la musique. Et si dix ans ont passé, la politesse et les concessions ne sont pas de mise: Fuzati veut un exutoire pour rapper bêtement et méchamment, et Orgasmic veut produire du rap électronique. Fermes dans leurs volonté commune de proposer quelque chose sans rapport avec le Klub des Loosers, chacun s'offre dans Grand Siècle de l'espace, sans regarder dans le rétroviseur et avec la ferme intention d'imposer sa patte en composant avec l'autre. Si on avait pu craindre les accès d'autisme, il n'en sera rien: on est ravis d'entendre enfin Fuz' s'émanciper de beats laidback qui lui collaient trop à la peau – il faut croire que sa courte présence sur ce titre de Zoxea lui a donné des envies d'ailleurs – pour virer dans du pur rap à punchlines. Probablement histoire qu'on arrête de lui casser les pieds avec ses histoires de rap alternatif, alors qu'il est ici assurément plus proche de la démarche primaire d'un Kaaris que de celle, plutôt faisandée elle, d'un James Delleck.

Et donc Grand Siècle est un disque où les moments de bravoure sont légion, où l'inimitable vindicte du MC fait invariablement mouche. Où le bât blesse, c'est plutôt dans le manque de finition et de structure: difficile en effet d'apprécier l'album à 100% tant le tandem s'égare par moments dans des jeux sans intérêt ("Chaîne En Or"), ou perd en efficacité sur des beats pauvres que même les textes peinent à rattraper ("Bad Trip"). Mieux vaut donc considérer cet album comme une jolie récréation, une étape parmi d'autres de la carrière de Fuzati, que l'histoire ne retiendra pas forcément mais qui le montre heureux de jouer la carte du dadaïsme sur des beats plus décomplexés qu'à l'accoutumée. Et vu la versatilité du bonhomme, il eut été dommage qu'il ne s'offre pas ce luxe au moins une fois dans sa vie.

Le goût des autres :