Frequencies (A / Fragments)

Nicolas Bernier

Line – 2014
par Simon, le 13 mars 2014
8

Il y a des références contre lesquelles on ne peut pas lutter, des faits d’arme contre lesquels on ne peut se dresser sans passer pour un gros con sans culture ni ouverture. De ce fait, on ne peut pas valablement passer à côté de l’homme qui a remporté le Golden Nica au prestigieux festival Ars Electronica (équivalent du Festival de Cannes pour les œuvres de sound-design électroniques). Ça tombe bien, on ne comptait pas nier notre amour sans faille pour la musique de Nicolas Bernier (cherchez dans la base de données, elle est remplie d’interviews, de chroniques et de news en tous genres à son propos), Montréalais qui se dresse aujourd’hui comme une référence incontournable des arts électroniques de qualité.

La pièce qui sort aujourd’hui sur l’excellent label Line, c’est l’extension de l’installation sonore qui lui a valu cette inestimable récompense, une session musicale d’une trentaine de minutes enregistrée directement à partir de ce qui doit désormais être considéré comme un plébiscite inévitable. Structurellement, nous sommes ici dans de la fréquence pure, dans la perfection d’une onde sinusoïdale générée sur diapason. Sur une petite armée de diapasons, d’ailleurs. Placés en rang et frappés de martelets contrôlés par ordinateurs, ces instruments génèrent un océan de son, des vagues de données pure plus ou moins régulières, toujours dans l’ondulation, augmentées de percussions signalétiques et autres erreurs (au sens de leurs ruptures) amenées sciemment. Et c’est beau. C’est même démesurément beau.

Ce qui fait cette beauté – au-delà de notre amour inné pour la fréquence pure – c’est la manière avec laquelle Nicolas Bernier influence le son, la mesure dans laquelle il se distingue toujours de son objet. Travailler la fréquence pure (ou la musique de données) a ceci de difficile que le corpus est obligatoirement fait de neutralité – musicale, voire morale par extension – et que toute destination réclame une impression plus forte encore que pour toute autre forme de tentative musicale. C’est le lot de tous ceux qui attendent de travailler sur ce qui est, au départ, un instrument scientifique, un instrument de justesse musicale.

Si la notion de justesse prend ici tout son sens, celle-ci doit être perturbée (le postulat étant ici inversé) avec soin, sous peine de se retrouver dans un magma difforme. Travailler la neutralité pour se rediriger vers une œuvre belle (juste, si on se place du côté des sens), c’est là que Nicolas Bernier accomplit son miracle. Avec cette touche qui ne l’a pas quitté depuis dix ans, cette tendance à faire de toute musique électro-acoustique une œuvre qui émane de l’humain. Cette capacité à tenir la machine à bonne distance, à tout penser selon le mode du moyen, jamais de la fin. Pour arriver finalement sur des œuvres d’une beauté pure, belle de leurs imperfections, de son rapport privilégié aux tripes plutôt qu’au tout cérébral. Cette ambiguïté, elle est aujourd’hui célébrée par le plus exigeant des concours de musique électronique. L’avantage, c’est que la note a peu de chance de se discuter.