Far Out Far West

France

Mental Groove Records – 2020
par Jeff, le 19 mars 2020
10

Pour mieux comprendre comment fonctionne France, il faut commencer par intégrer les donnes suivantes : nous parlons d’un groupe qui a sorti en 2016 un disque enregistré en 2009. Puis en 2017, un disque intitulé Live à Metamórfosi 2019. Puis en 2019, un disque capté en 2014 dans un obscur festival dont on n’arrive toujours pas à retracer l’origine. Et puis en début d’année 2020, France pousse le bouchon encore un peu plus loin en sortant un disque enregistré en 2008. Et quel est le point commun de tous ces albums ? Ce sont des lives. Oui, France n’a jamais sorti d’album studio - ou du moins, pas à notre connaissance.

L’autre point commun : on y entend invariablement la même piste, sans titre, parfois jouée au milieu du public, parfois dos à celui-ci, assez rarement sur une scène traditionnelle. Ce morceau sans titre, il s'étire sur une durée qui varie en fonction du lieu, de l’atmosphère et de l’humeur du jour – comptez entre 40 et 70 minutes en général. Il en va de même pour la cadence imposée à ce mélange tourbeux de drone, de kraut et d’expérimentations néo-trad joué avec une batterie, une basse et une putain de vielle à roue électrifiée – cet instrument à cordes moyenâgeux que le commun des mortels associe davantage à un reportage dans le 13 heures de Jean-Pierre Pernaut qu’à l’un des groupes les plus essentiels de l’Hexagone. En un mot comme en cent : essentiel.

Enfin, essentiel, le groupe l’est pour à peu près toutes celles et ceux dont la route a une fois croisé celle de France, et qui souvent vous parleront d’une expérience totale, une transe collective sur laquelle il est difficile de mettre des mots, tant un concert du trio tient plus du chamanisme que de la prestation au sens traditionnel du terme. Une expérience extrêmement éprouvante aussi : une fois happé dans le vortex créé par Yann Gourdon, Jérémie Sauvage et Mathieu Tilly, impossible d’en sortir indemne, impossible d’éviter le K.O. debout. Passée les dix premières minutes (celles qui généralement font fuir les peureux), le temps n’a plus aucune emprise sur les corps, tandis que la musique du groupe baise les esprits avec la délicatesse des meilleurs gonzo de Rocco.

On pourrait penser que graver sur support physique une prestation qui vaut surtout pour la force cataclysmique de son interprétation n’a aucun sens, si ce n’est satisfaire les fans les plus hardcore qui pleurent l’inconstance calendaire d’un groupe qui semble se tamponner du sentiment de manque qu’ils sont capables de générer. Il n’y a rien de plus faux. Cela est d’autant plus vrai qu’à l’image des concerts du groupe, aucune sortie ne ressemble à la précédente, notamment parce que les conditions d’enregistrement varient à chaque fois, le mixage également – il est alors fascinant de voir comment un bloc en apparence aussi monolithique peut puiser son énergie sur autant d’éléments différents. Après, on vous conseille de préférer l’isolement le plus total pour en profiter – un bon gros casque, ou la solitude de son salon. Car si un concert de France est une expérience collective, l’écoute domestique s’accommode mieux de l’exigence de la proposition.

Au final, on avoisine les 3.000 caractères et on n'a encore rien dit de précis sur Far Out Far West, et c’est tant mieux ici. Si vous découvrez le groupe à la faveur de ce papier dithyrambique, tout ce que vous aurez lu plus haut fera amplement l’affaire. Si vous faites partie des Francezouzes les plus hardcores, sachez qu’on n'atteint pas ici le niveau de Ott ou Do Den Haag Church, mais que l’idée de se prendre à full blast dans les tympans ce qui fut en fait le vrai point de départ de l’odyssée France (ce disque est en fait un enregistrement du premier concert du groupe devant public) en réjouira plus d’un. Notre avis sur l’édition en 2020 d’un disque datant en fait de 2008 aurait peut-être davantage sa place dans un dossier comme In Dust We Trust mais en fait non, France produit une musique qui ne rentre dans aucune case, défie toutes les catégorisations pour se concentrer sur l’essentiel : l’énergie démentielle qu’une simple mélodie bouclée à l’infini peut dégager, et sa capacité à altérer notre perception du réel jusqu’à pouvoir en questionner l’existence tant qu’on vit dans la bulle créée par France.

Le goût des autres :