Fabric 68

Petre Inspirescu

Fabric – 2013
par Simon, le 21 mars 2013
8

C’est un sentiment assez spécial de retrouver Petre Inspirescu pour cet énième volet de la série Fabric. Il est toujours agréable de quitter quelqu’un en bas âge, le mioche d’un ami serait l’exemple parfait, pour le retrouver quelques années plus tard, complètement changé. L’enfant  prépubère d’autrefois est désormais à l’université, roule en moto et se tape le plus convoité des missiles atomiques. Voir que ce gueulard est devenu quelqu’un de bien nous donne ce sentiment de plénitude béat, comme quoi les choses ne vont pas toujours mal en avançant, qu’on peut largement se satisfaire de cette éducation à laquelle on est totalement extérieur.

Avec Petre Inspirescu, on vit probablement ce genre d’amour. On connaissait à l’époque le Roumain comme un jeunot discret qui posait pour Cadenza. Une ligne tout sauf dégueulasse dans un CV qui aura bien d’autres choses à offrir qu’une place de second couteau dans l’écurie de Luciano. On garde en mémoire la rigidité extrême de la composition, véritable marque de fabrique des premiers vinyls du label, couplée à un sens inné de la narration dans la contrainte : une musique de club méchamment abrupte pour des pistes casse-gueule et hautement addictives. Cette esthétique à l’échelle d’un label, Petre Inspirescu l’incarnera de manière définitive dans "Racakadoom" ou "Galantar", pistes guerrières  aux contours de béton mal dégrossi.

On a ensuite laissé le Roumain sur ce coup de gloire, sans vraiment chercher à trop en savoir sur les évolutions de ce producteur de grand talent. Ressurgit alors la version adulte du Petre Inspirescu qu’on avait connu adolescent. Et punaise, c’est assez terrifiant de voir que ce gars a développé une esthétique si léchée, tellement conforme à ce qu’on pouvait attendre d’un producteur qu’on a laissé traîner sans totalement l’oublier.

Aujourd’hui, Petre Inspirescu, c’est une merveille de synthétisme électronique, une micro-house ultra cohérente qui ne peut qu’être le symbole d’un producteur ayant fait les bons choix de carrière. On garde ici une rigidité de composition assez inévitable, versée d’un dynamisme paradoxal. Comme un bâton de bois sur lequel il faut exercer une force terrible pour en faire un arc à flèche précis.

On sent une tension de tous les instants pour se battre contre la contrainte d’un kick qui marche terriblement droit, dont les seules inflexions sont les clicks qui étoffent la rythmique sur les côtés, toute cette spatialisation qui offre un contrepoids malin à la terreur d’une architecture 4/4 persistante. Et puis il y a cette sobriété dans l’habillage, ces mélodies enfouies, ces claviers granuleux et ces cordes déchirantes.

Puisqu’il est de coutume de causer de références, on tient là l’ambiguïté d’une composition à la Ricardo Villalobos (tant pour la relation entre organique et synthétique que pour le statisme de façade de l’ensemble) et la classe deep-house des grands titres d’Efdemin (pour le côté admirablement félin de la marche et son permanent équilibre mélodique).

Un disque admirable, qui grandit à mesure que passent les écoutes. Une sorte de point de chute tout sauf définitif pour un artiste enfin arrivé à maturité. Quinze titres made in Petre Inspirescu qui placent le producteur comme l’une des plus grosses personnalités de cette année électronique.