Eye Contact

Gang Gang Dance

4AD – 2011
par Jeff, le 13 mai 2011
9

Avec leur look de hipsters new-yorkais un brin condescendants, le soutien indéfectible que leur accorde la bible Pitchfork, le petit détour par chez Warp qui fait toujours bien sur le CV et une esthétique "DYI arty" férocement défendue sur disque et sur scène, Gang Gang Dance a tout du groupe qu'il fait bon détester. Et pourtant. Il suffit de voir les nombreux ersatz fatigants que la blogosphère nous offre en pâture à longueur d'année pour s'en convaincre: ce groupe-là compte bien parmi les formations les plus indispensables de ces dernières années. A l'image de savants fous de la trempe d'Animal Collective ou Black Dice, Gang Gang Dice entreprend de vulgariser une certaine forme de travail expérimental féroce, de repousser à chaque fois les limites d'une pop qui se demande bien quand ces exactions vont se terminer. En 2008, Saint Dymphna et ses hymnes déviants nous avaient foutu une claque dont les rougeurs peinent encore à s'estomper trois ans plus tard. Ce n'est donc pas peu dire que ce nouvel album, cette fois sur la vénérable maison 4AD, est attendu de pied ferme. Et que le groupe est à la hauteur des attentes.

En fait, l'affaire semble déjà pliée en onze grosses minutes, celles qui ouvrent le disque. La tuerie en question, "Glass Jar", symbolise à merveille ce nouveau palier franchi par le groupe dans sa singulière carrière: on le sent aujourd'hui prêt à contaminer les masses abruties avec son hybride pop/electronica/world music/UK Funky forcément indigeste sur papier et complètement ébouriffant dès la première écoute. Tous les morceaux présents sur Eye Contact pointent dans la même direction, celle d'une musique capable de séduire même les poppeux les plus réactionnaires tout en refusant le compromis. Car là où les précédents efforts du groupe pouvaient décourager par leur caractère parfois trop aride et leur amour de la rugueuse déconstruction, cette cinquième réalisation le voit déambuler dans des plaines autrement plus verdoyantes, où s'épanouit surtout la chanteuse Lizzi Bougatsos, qui n'a jamais semblé aussi à l'aise sur les productions de ses comparses et nous livre des performances dont le niveau d'ensorcèlement potentiel rivalise avec les performances d'une Karin Dreijer-Andersson au sein de The Knife.

Aujourd'hui dans une situation similaire à celle des coreligionnaires de Battles à l'époque de Mirrored, c'est-à-dire en marge de l'underground et en lisière du mainstream, le groupe américain nous a pondu avec Eye Contact ce qui constitue certainement l'un des disques les plus aboutis et fascinants de 2011, de ceux qui justifient pleinement le buzz et promettent déjà un enthousiasme décuplé lorsqu'il nous reviendra avec une sixième galette. Mais ne pensons pas encore à l'avenir, aussi brillant soit-il: il y à boire, à manger et à halluciner sur Eye Contact, et vu le foisonnement de trouvailles lumineuses qui le caractérise, il vous faudra encore longtemps avant de vous en lasser…

Le goût des autres :
8 Thibaut 8 Gwen 8 Laurent