Everything You've Come To Expect

The Last Shadow Puppets

Domino – 2016
par Amaury L, le 4 mai 2016
7

Au moment exact où l'on a enterré les utopies soixante-huitardes bien profond dans la psyché occidentale, le paysage sociologique s'est fragmenté et a entraîné une multiplication des genres et sous-genres musicaux ; mais aussi des fantasmes et systèmes de valeurs de leurs consommateurs.

On peut présenter la chose ainsi, en prenant le risque de grossir les traits d'une problématique forcément compliquée : si les humanoïdes des années 60' n'avaient à choisir, comme réceptacle à pulsions sexuelles, qu'entre les Beatles, les Stones, Jim Morrison, Otis Redding et James Brown, les phéromoneux  d'aujourd'hui ont droit à une offre qui approche celle de YouPorn.

Ainsi, de nos jours, il n'est pas rare de croiser une gothique italo-japonaise confiant que sa culotte devient spongieuse lorsqu'elle écoute Kevin Morby ; des jeunes cadres dynamiques à la moustache entretenue vous avoueront sans honte que Björk déguisée en perroquet indigo est leur partenaire de baise idéale ; tandis qu'un métalleux, cuistot dans un restaurant gastronomique, vous expliquera que son kif ultime, c'est le ballet contemporain.

Il est un fait que la diversité des besoins et des chimères a atteint un sommet particulièrement vertigineux. Mais comme sur tous les menus, il y a les suggestions du chef, les hors-d'œuvre, les salades, les desserts et surtout, il y a les classiques. Et en matière de contentement immédiat du mélomane désireux de recharger sa pile libidinale, Alex Turner est désormais un chef étoilé, tandis que son commis de cuisine Miles Kane ne se démerde pas trop mal avec son gros rouleau à pâtisserie.

Car il n'est presque question que de ça, lorsqu'on tente de lire les filigranes torrides qui s'accolent à chaque note, chaque accent mis sur les mots du dernier album de The Last Shadow Puppets. Le disque entier est une apologie de la copulation, mais selon un parti-pris artistique qui amène la trivialité et la sophistication à s'entrechoquer méchamment. Je parle de sophistication car c'est quelque chose qu'il faut tout de même saluer dans cet album fiévreux et, paradoxalement, apaisant. Le travail d'Owen Pallett sur les cordes a permis aux chansons de gagner en suggestivité poétique, chose qui manquait par exemple au dernier Arctic Monkeys.

Maintenant, qu'on soit bien d'accord : la musique d'Everything You've Come to Expect reste banale à la première écoute. Des morceaux comme "Sweet Dreams, TN", "The Element of Surprise" ou "Dream Synopsis" ne sont jamais que des variantes de la même ballade turnerienne à la "N°1 Party Anthem". Mais si l'on prête l'oreille aux textes et à la dextérité vocale de Turner (et à celle de son larbin) et si l'on veut bien accueillir ces quelques pièces d'orfèvrerie mélodique que sont "Aviation"et "Dracula Teeth", alors on comprend qu'on tient un des disques les plus sulfureux de notre époque.

Galvanisés par un succès qui les rend plus ou moins omnipotents depuis cinq ans, Turner et Kane adoptent sur Everything You've Come to Expect une pose de dandys trentenaires esclaves de leur bite. Mais on leur pardonne sans mal : sur ce second album, les Anglais se démènent tels des Orphée de l'âge électrique, condamnés à chercher une Eurydice en talons aiguilles dans un Enfer où la musique de Love, de Gainsbourg, du Moody Blues et de Richard Hawley danse négligemment avec les cordes de Pallett, tapis de grâce sur lesquels les âmes damnées des amoureux se languissent devant le feu ouvert de leur passion.