Everybody Looking

Gucci Mane

Atlantic Recordings – 2016
par Simon, le 8 août 2016
8

Mon Gucci,

J’ai du mal à imaginer que je t’écris aujourd’hui cette lettre de Bruxelles. J’ai du mal à imaginer que je t’écris une lettre tout court. À vrai dire, de savoir que je peux presque te tenir dans mes bras après ton trop long passage en prison me rappelle que tu m’as manqué. Intensément et sincèrement, au travers de nos #freeguwop et de nos vannes sur ta vie de déglingo. Une sorte de meme de l’internet vécu entre potes, notre ourson gavé au sizzurp et affublé de tatouages aussi ridicules que tes choix de vie (sérieusement, il faudra un jour que tu nous explique ce sigle EA Sports et ce cornet de glace en plein milieu de ta face).

J’ai eu un choc en te revoyant au sortir de taule. On avait oublié que tu n’as pas toujours été un bibendum avec 25 kilos de trop, mais surtout que la dope t’a probablement niqué une partie de ta carrière. En même temps, je tente de m’en persuader mais je n’en suis plus si sûr. Tes 8 mixtapes par an depuis une décénnie (le pire, c’est que tu gérais plutôt pas mal sur la plupart), la réponse que tu as donnée au juge au moment de t’exprimer sur ta culpabilité, les tweets nocturnes dans lesquels tu virais la moitié des artistes de ton label ; toute cette bouffonnerie qui a fait de toi ce personnage si attachant est forcément lié à cette merde que tu t’envoyais jour et nuit. On ne t’en veux pas. Après tout, ça nous a bien fait marrer, mais on est également heureux de te redécouvrir frais et disco.

J’ai écouté ton dernier album, il est super frais, bien joué vieux. Ta tête est claire à nouveau, ça se sent. Ça fait plaisir de voir que ton projet est, peut-être pour la première fois, totalement intégré comme un objet destiné à être vendu. Tes copains Mike Will Made It et Zaytoven ne t’ont pas oublié, t’as toujours eu cette classe de traîner avec les plus grands de toute façon. Être une légende, sans donner l’impression d’y toucher, avec humilité presque. Les hipsters ne le comprendront peut-être pas comme ça, mais quel bonheur d’entendre ton enfant Young Thug pleurer le retour du père sur ce « Guwop Home ». Nous, on n’a pas oublié que, jadis, tu lançais des carrières à Atlanta, que des Waka Flocka Flame ou des Young Scooter sont devenus des princes grâce à toi. En fait, on n’oubliera jamais qu’il n’y a de la place dans ce monde que pour un seul trap god, que tout ce qu’est devenu cette industrie découle du mythe que tu as créé, que tous les artistes qui font des millions de vues dans ce biz se revendiquent de ton école.

Ta destinée est toute autre, elle serait presque philosophique tant tu travailles sur un autre axe. Un pied dans la rue, l’autre dans la musique, tu resteras toujours l’âme de cette musique originellement conçue comme un passe-temps de truands dans les trap houses. Si bien qu’avec mes amis, on se demande encore comment tu as pu cartonner à ce point. Ton flow monotone, ta neutralité dans l’effort, ta capacité à produire un album en une semaine et ce dix fois par an, ta manière de glisser sur les choses sans poser de questions, de rapper sur tout et n’importe quoi. Ta manière d’être le rap and beyond. Et malgré tout, Atlanta te tient encore et toujours comme le Petit Père des Peuples trap, à croire que tu en transpires le cœur vivant. Nous, on est des blancs-becs, on ne comprend rien à cette réalité, on est juste heureux de voir que tous les O.G. de là-bas ne connaissent que ton nom au moment de parler de cette musique. Ça nous suffit pour nous assurer que la trap t’appartient toujours comme l’objet que tu as jadis popularisé (avec Young Jeezy, même si je sais que tu détestes qu’on parle de lui), toi le bouffon génial, notre ami qui met ses doigts dans son nez quand on lui demande deux minutes de sérieux. On est juste heureux de voir qu’on peut désormais arrêter de te considérer comme une relique historique.

Il t’aura fallu seulement six jours après ton retour en studio pour écrire ce disque et je ne peux m’empêcher de le voir comme un véritable nouveau chapitre de ta carrière si atypique. J’espère que tu vas bien et je me réjouis de me dire que tu respires à nouveau l’air pur. Tiens-toi bien, ne fais pas trop de conneries en retour de soirée et sois poli avec les policiers. Et puis, sérieusement, big up pour ce disque, tu tiens un classique des familles. Tu tiens ton retour et t’avais raison, tout le monde te regarde aujourd’hui.

Simon  

Le goût des autres :
7 Ruben 7 Antoine