Dettmann

Marcel Dettmann

Ostgut Ton – 2010
par Simon, le 13 septembre 2010
9

Dans toutes les armées il y a des chefs de guerre, des leaders, des gars dont le ton de la voix impose l'obéissance inconditionnelle. Un mélange habile de terreur et d'intransigeance qui sépare l'homme du héraut. La techno a désormais Dettmann en tête de colonne, prêt à reprendre l'emblème allemande pour une nouvelle croisade mondiale. Mais qui ignore encore l'omniprésence de Marcel Dettmann se verra immédiatement imposer les travaux forcés : résident inamovible du Berghain et virulent défenseur d'une techno minimale véritable et sans concessions, l'Allemand restera comme l'une des icônes marquantes de cette dernière décennie. Puis il y eut cet album éponyme, cette tentative risquée d'un long format pour un homme déjà consacré par le vinyl. Dettmann est là comme une promesse qu'on n'attendait plus vraiment. Dettmann est là comme un souffle définitif et absolu.

Album froid et mystique, Dettmann fait chuter la techno dans le côté violent de la force, dans les méandres d'un univers urbain et impitoyable. Mais ce seront les prouesses sonores qui seront tout d'abord à épingler : album typique d'un ingénieur du son, Dettmann est riche à l'extrême, infini dans la pureté et l'étrangeté de ses textures. L'air qui virevolte autour des kicks intangibles est suffocant (trop presque), hostile et clair-obscur; la moiteur toute dub de ces miasmes étrangle et engourdit les sens. Un boulot à la limite de l'humain. Le reste tient tout autant de la prophétie : boucles hypnotiques répétées ad nauseam, crachotis organiques et certitudes post-techno. Une mécanique qui redéfinit à elle seule les contours d'une frange minimale de la techno telle qu'on ne l'imaginait plus. Trop d'âmes en peine regrettent les heures de gloire des Robert Hood, Basic Channel et autres Monolake; beaucoup dès lors se pâmeront devant ce nouvel exploit étiqueté Berlin.

Mais il faut le dire, Dettmann est un album complexe, insondable autant que fatiguant. Cette minimale-là se porte comme sur un chemin de croix, de manière courageuse et libératrice. Monté comme un amas de systèmes, toutes ces pistes n'ont d'autre vocation que de matérialiser des failles – sensorielles autant que temporelles – et de libérer les corps dans des giclements ininterrompus. Il n'y à ni début ni fin, seulement des milieux. Le continuum espace-temps est ici brisé de toutes parts, en tant que notion faible et sans véritable intérêt. Dettmann est tout simplement un album à couteaux tirés, une parade qui rend dingue. Une nouvelle approche de la techno contemporaine, qui voudrait à tous prix sauter une génération pour retrouver ses anciens partenaires de jeu : les boucles pouvant tourner une heure sans jamais lasser et les inspirations minimalistes qui renvoient toujours vers le corps et ses mystères. Œuvre solaire et intemporelle, Dettmann a tout du classique de très grande envergure. Préparez les sismographes, voici l'album techno de l'année.

Le goût des autres :
7 Julien 9 Thibaut