Dedicated to Bobby Jameson

Ariel Pink

Mexican Summer – 2017
par Quentin, le 27 septembre 2017
8

"J'ai été déclaré 2 fois mort d'overdose, j'ai survécu pour raconter comment la recherche du succès est au moins aussi mortelle que tous les narcotiques que j'ai essayé." Voilà ce que déclare l'en-tête du blog de Bobby Jameson. Rongé par l'alcool et les drogues, Jameson est arrivé sur la scène musicale dans les sixties puis a disparu complètement durant les années 80 pour enfin réapparaître sur Internet en 2007 après un break de 30 ans. Sur la toile, là où tout ou presque est permis, Jameson trouve le lieu parfait pour régler ses comptes, raconter ses malheureuses histoires et surtout pour se plaindre de son manque d'argent et de succès. Il décède en 2015 dans l'indifférence générale et n'aura jamais été la star qu'il voulait être. C'est d'autant plus triste que Jameson ne saura même jamais qu'il pouvait compter sur cet illuminé d'Ariel Pink pour ressusciter sa mémoire. Autant le dire tout de suite, Dedicated to Bobby Jameson n'est en aucun cas un album de reprises de morceaux inconnus d'un chanteur à qui on avait promis la lune. Non, Dedicated to Bobby Jameson est une manière pour Ariel Pink de tracer des parallèles entre sa vie et celle d'un artiste au parcours dramatique.

A presque 40 ans, Ariel Rosenberg a passé une bonne partie de sa vie comme pas mal d'artistes : à la recherche d'attention et de notoriété. A l'instar de Jameson dont l'histoire variait afin de tout le temps faire croire à la presse qu'il était un talent émergent, Pink a toujours établi une distance avec ses productions. Une démarche qui plonge tout le monde dans le flou, appuyée par des interviews ou des déclarations qui ne sont jamais vraiment là pour nous aider ("There's no such thing as Ariel Pink. It's kinda complicated but kinda not"). Après quelques années de débâcle, Pink signe finalement en 2010 chez 4AD (pour son album "révélation" Before Today) et l'excentricité singulière qui lui était avant reprochée devient soudainement la raison pour laquelle les projecteurs du milieu indie se braquent sur lui. La belle histoire continue avec la sortie de Mature Themes en 2012 et enfin l'excellentissime Pom Pom sorti en 2014. On pense alors Ariel Pink ravi de ce succès tant attendu mais Dedicated To Bobby Jameson marque un virage sombre et inattendu dans la saga de l'artiste. L'homme est désabusé, lassé de sa propre gloire qui l'empêche de créer avec un plaisir insouciant qu'il chérissait tant. L'album n'en reste pas moins efficace et sa pop moderne navigue toujours loin devant la moyenne mais selon sa propre confidence, l'Américain ne s'enthousiasme plus à créer. 

Et c'est bien là le drame puisque là où Bobby Jameson a passé une vie entière obsédé par son incapacité à réaliser ses rêves de jeunesse, Ariel Pink est parvenu à concrétiser les siens. Le revers de la médaille, c'est que ce passage sous les projecteurs lui a fait découvrir leur vacuité. Tout cela se traduit évidemment dans la musique d'Ariel Pink. A commencer par un changement de label: exit 4AD, bonjour Mexican Summer, une écurie à l'audience plus réduite, ou en tout cas plus précise mais surtout un moyen de revenir à un son plus authentique, véritablement lo-fi. Pas parce que c'est cool mais parce que c'est ce qui lui ressemble le plus. Le résultat est imprévisible comme souvent avec lui mais il offre un panel absolument génial de sa désillusion. Tenter de classer le style d'Ariel Pink serait rassurant mais ce serait surtout passer à côté de sa musique. Les compositions sont simplement douces ("Another Weekend", "Do Yourself a Favor") ou incroyablement directes ("Time To Live", "Bubblegum Dreams") mais toutes révèlent le génie de l'artiste. "Ariel Pink peaufine son écriture comme un musicien savant, articule et recompose sa matière comme un sculpteur, avec cette apparat en plus, la fantaisie d'un mec qui n'a peur de rien et qui fait rire même dans sa mélancolie", vous disait-on déjà au sujet du mec en 2010 lorsqu'on parlait de Before Today. Et si les années ont passé, on doit bien avouer que ce constat est toujours d'actualité.

Au final, ce clin d'œil à Bobby Jameson est plus une mise en garde d'Ariel Pink à lui-même. Incapable de profiter de l'amour et de l'attention qu'il a si longtemps cherché, Pink s'éloigne en ayant bien compris que se reposer uniquement sur une carrière musicale dans la recherche de l'accomplissement de soi est sans aucun doute le moyen infaillible de terminer brisé. Ariel Pink a compris, il le sait : la vérité est ailleurs...