Craft Of The Lost Art

Shape Of Broad Minds

Lex Records – 2007
par Simon, le 27 octobre 2007
9

Attention talent, Jneiro Jarel est de retour sur le ring après un très bon Three Piece Puzzle sorti il y a de ça deux ans maintenant. Et l’incontournable écurie Lex Records a de quoi se réjouir car notre quintet - composé de Panama Black, Jawwaad, Rocque Wun, Dr Who Dat ? et emmené par l’exceptionnel Jneiro Jarel (dont la moitié ne serait que des alias prompts à brouiller les pistes) – s’apprête à marquer son empreinte de manière définitive dans le hip hop américain.

Sans attache particulière, cet hip-hop là voyage de Brooklyn à Houston en effectuant un détour par Philadelphie : un bouillon de culture qui amène notre New-Yorkais, victimes de ces déracinements successifs, à brasser immanquablement une foultitude d’influences délicieuses. Une fois passé derrière les machines, Jneiro Jarel transforme ce passé chahuté en véritable argument de persuasion tant sa patte est talentueuse, affolante de maîtrise. Des guitares aux ambiances soul (l’exemple étant peu exhaustif) il n’y a en effet qu’un pas, un pas qui s’apparente à première vue comme une foulée de géant mais qui s’opère ici avec le plus grand naturel, comme si les frontières factuelles entre les genres n’avaient jamais été que du vent. Le pari était donc osé de condenser cet arc-en-ciel de couleurs en un seul album à la vue de l’immensité de la tâche mais, vingt-trois titres plus tard, l’entreprise se révèle tout simplement pertinente tant sur la forme que le fond.

Parcourir le cerveau enfumé de Shape Of Broad Minds est un travail de longue haleine car cette machine est capricieuse, indocile de par sa capacité à vous filer entre les doigts, à contourner l’attendu pour surprendre par derrière. Les flows de surdoués se mettent en position de funambule sur ces productions fragiles, s’assurant à tous les instants d’éviter une chute douloureuse mais tellement peu probable à l’écoute du talent ici déployé. Une fois maîtrisés sur le bout des doigts, les codes du hip-hop se transcendent et se propulsent au firmament de sa sagesse. Cette unité ayant rendu possible l’établissement d’un tel exploit n’entrave pas la naissance de collaborations fructueuses : l’énorme Count Bass D, Stacy Epps, Lil’ Sci se voient couronnés d’honneur en posant leur voix sur ce qui s’annonce déjà comme un grand classique, mais qui mieux que MF Doom pouvait mieux représenter cette frange du hip-hop qui ne se laissera jamais dicter sa conduite par rien ni personne au travers d’un « Let’s Go » gigantesque de conscience.

Plus qu’une onde planant au-dessus du disque, ce flux d’énergie bienfaisante Shape of Broad Minds ne se contente pas de le capter à l’aide de sa patte de génie pour vous le resservir tout cuit, il vous plonge la tête dedans jusqu’à l’instant où nos pâles esprits saisiront la substance première de ce qui fait de ce Craft Of The Lost Art un album mystique. Cet album est définitivement le patchwork tant désiré par les auditeurs lassé de ces productions puant ce consumérisme assassin apte à vider le hip-hop de son substrat, chaque production étant plus qu’une virulente piqûre de rappel à tous les « cream-addict » de la Big Apple. Il est maintenant clair que ces cinq lascars peuvent constater l’ampleur des dégâts avec le sentiment du travail accompli. Cette rencontre improbable entre la sincérité du Wu-Tang Clan et l’intelligence pratique de Prefuse 73 résonne à ce stade comme la plus grande réussite hip-hop de cette année. Immanquable.