Cat's Eyes

Cat's Eyes

Cooperative Music – 2011
par Serge, le 31 mai 2011
6

Il y a cette théorie de comptoir diablement pertinente, dont le plus célèbre défenseur reste le Français Bertrand Burgalat. Elle soutient qu'il existe une fausse qualité musicale, des disques et des groupes qu'une opinion un peu débile et carrément conditionnée encense benoîtement sans jamais se poser la question de la réelle valeur, principalement parce que ces disques et ces groupes sont considérés (et vendus) comme des alternatives au mainstream. Pour illustrer ce postulat, Burgalat oppose souvent Björk à Beyoncé, estimant la musique de la première totalement nulle et prétentieuse alors que les productions de la seconde fourmillent d'idées, sont techniquement irréprochables et soutiennent même un message souvent davantage émancipateur que la poésie post-moderne tartignolle de l'Islandaise. Seulement voilà, Beyoncé, c'est du commerce de masse, alors que Björk est perçue comme une artiste complète. Björk, comme Vincent Delerm, représente donc la fausse qualité et cartonne principalement parce que des incultes considèrent quasi comme un acte politique le fait de l'apprécier.

Last Shadow Puppets à prescrire aux gothiques, Broadcast mou de la couille, Cat's Eyes c'est un peu pareil : de l'anodin qui ne cultive son culte que par l'immense indulgence critique dont il bénéficie et l'idée que son ambition et son sérieux s'opposent à une certaine facilité mercantile industrielle. Pour moitié bourré de comptines, l'autre partie nettement plus rock and roll et psychédélique, l'album est un hommage à tout ce que les sixties ont généré de plus sexy : girls groups aux divines sonorités garage, productions de Joe Meek, duos de Lee & Nancy et crooneries déviantes de Scott Walker. Peut-être même a-t-on pris des notes alors que tournaient quelques bandes originales d'Ennio Morricone, principalement celles enregistrées avec Joan Baez. Bref, une proposition qu'il est presque impossible de ne pas aimer, d'autant que balancée sur la table par Farris Badwan, chanteur chez The Horrors et Rachel Zeffira, cantatrice canadienne de profession. Un punk lettré et une spécialiste des vocalises irréprochables qui font de la pop symphonique intemporelle, voilà qui se pose un peu autrement qu'une énième bimbo funky produite par l'un ou l'autre poteau à David Guetta, non ?

Et bien, non. Certes, les comptines sont jolies et la défonce psyché peut donner envie de porter des chemises à jabots. N'en demeure pas moins que tout cela est vraiment diablement appliqué et trop propre. Du travail de premier de classe d'où se dégage surtout le sentiment d'une esbroufe qui se cherche une légitimité. Badwan et Zeffira, voilà un duo qui s'ingénie plutôt bien à singer le génie. Sans toutefois ne jamais en capturer l'essence véritable, n'arrivant jamais à ce que leurs chansons imprègnent véritablement l'âme là où leurs modèles réussissaient pourtant cet exercice en se tricotant des layettes. Album inutile, pastiche, récréation amusée, voilà, Cat's Eyes, ce n'est que ça et cela n'a rien de condamnable tant que personne ne tente de nous le vendre comme un chef d'oeuvre à l'ancienne, un retour à la tradition, de l'orfèvrerie sous influence. Amateurs de vraies lumières, de sensations plus bouleversantes, de troubles durables, de grands monuments, laissez tomber et remontez plutôt aux sources citées. C'est là que vos yeux de chats deviendront noirs d'excitation. Ici, il ne s'agit que d'essayer de s'attraper sa propre queue.

Le goût des autres :
8 Laurent