Black City

Matthew Dear

Ghostly International – 2010
par Guillaume, le 11 août 2010
8

Trois ans que l'on attend le nouvel opus de Matthew Dear. Trois années à patienter depuis l'excellent Asa Breed qui avait conquis presse spécialisée et amateurs de musique électronique. Autant dire que le producteur texan est attendu au tournant après les pépites laissées sur le passage de ses différents pseudos (Audion, False, Jabberjaw). Et voilà que depuis quelques semaines le buzz se créé autour de son nouvel album. Il faut dire qu'en sa qualité de patron de Ghostly International, le bonhomme ne laisse rien au hasard et sait comment mettre l'eau à la bouche et le cérumen à l'oreille de ses auditeurs.

Autant le dire tout de suite, Black City risque de diviser l'opinion entre les puristes qui interpréteront l'oeuvre de Matthew Dear comme un revirement obscur dans sa recherche de l'album pop parfait et les autres, happés par son univers sombre et à la limite du macabre. Matthew Dear a beau habiter New-York, sa ville noire est peuplée de cas désespérés et d'âmes damnées, à l'image d'un Gotham City dépourvu de super héros. L'artiste semble ici faire une projection pessimiste dans l'avenir, dans lequel la cité noire ressemblerait étrangement à la mégalopole sombre dépeinte dans Blade Runner.

Les dix pistes de l'album, oscillant entre new wave, krautrock, pop et techno alitée, composent la bande-son de cet univers austère, singulier et visionnaire pour lequel l'auditeur ne peut que s'éprendre. Mais attention, Black City fait partie de ces albums qui s'écoutent d'une traite sous peine de rendre l'ensemble approximatif. Black City est donc un VRAI album, parfois chargé de soubresauts électroniques, d'instants de catalepsies orgastiques, mais gardant sa placidité comme fil conducteur. « Gem », ballade beatless et sublime, incarne à elle seule ce flegme constant, avec ses influences ambient à la Brian Eno portées par une ligne de piano dépressif et la voix "barytoneuse" de Matthew Dear, alors que "I Can't Feel" invoque une rencontre improbable entre Jamie Lidell et Arthur Russell, entre vie et mort, pop et expérimentations sonores. Mais les influences suintant de Black City ne s'arrêtent pas là. La structure rythmique de « You Put A Smell On Me » rappelle le groove diabolique d'un Front 242 sous Lexomil. Peu de tracks "DJ tools" donc, même si l'on peut quand même prédire une incursion massive de certains titres dans les sets de quelques pousseurs de disques. 

Loin, très loin même d'un Asa Breed joyeux et décomplexé, Matthew Dear livre avec Black City un disque profond et sans compromis. On observe ici une réelle cohérence, aussi bien entre le contenu (l'album) et le contenant (le plan marketing mis en place) qu'entre sa volonté de surprendre et la qualité exemplaire de son travail. Black City est un album à écouter et à réécouter, en priant pour que ce cher Matthew ne fasse pas de cet album-concept son leitmotiv. Non, Matthew Dear ne chavirera pas dans les flots ténébreux de Black City. Car même si le noir est noir, on sait qu'il y a encore de l'espoir.

Le goût des autres :
8 Thibaut