Between The Times And The Tides

Lee Ranaldo

Beggars Banquet  – 2012
par Michael, le 18 avril 2012
9

L'histoire du rock recèle de célèbres revanches de présumés seconds couteaux. On citera en vrac et dans des genres bien différents Martin Gore prenant le contrôle de Depeche Mode après le départ de Vince Clarke avec à la clé le succès que l'on sait, Kim Deal s'échappant des Pixies pour pondre quelques très bons albums au succès retentissant avec ses Breeders ou encore Rita Lee qui en quittant Os Mutantes en pleine gloire au début des seventies, allait assez rapidement devenir une star de la musique brésilienne. La musique populaire a en effet ce vilain défaut de ne se concentrer que sur les éléments les plus visibles d'un groupe dans ce grand tourbillon perpétuel qu'est le cirque médiatique. Rien d'étonnant donc que chez Sonic Youth, groupe pourtant ô combien démocratique, l'attention se soit toujours portée sur le couple Thurston Moore/Kim Gordon. Pourtant les fans du groupe le savent depuis longtemps, Ranaldo, en plus d'être l'excellent guitar hero du bruit blanc qu'il est et sera toujours, est également un brillant songwriter. Il aura ainsi semé tout au long de la carrière de Sonic Youth de purs petits joyaux comme "Eric's Trip", "Mote", "Wish Fulfillment"ou "Skip Tracer", immédiatement identifiables grâce à ce chant si particulier entre scansion et spoken word et qui comptent aujourd'hui parmi les classiques du quatuor.

Même si Ranaldo avait déjà à son compteur un bon nombre d'albums solos, ces derniers versaient plutôt dans une veine expérimentale et improvisée que dans l'album de chansons. Cela ne nous aura donc pas complètement surpris de sa part de sortir ce Between The Times And The Tides. On aurait même envie de dire : "enfin !". Car ici le malheur des uns fait bel et bien le bonheur des autres. Le hiatus indéterminé provoqué par le divorce du couple Moore/Gordon aura permis à Ranaldo de se concentrer sur ses projets parallèles et de s'offrir cette bien belle parenthèse.

On pourrait presque qualifier Between The Times And The Tides d'album de classic rock, dans le bon sens du terme, on vous rassure. Ce qui met d'ailleurs en lumière le paradoxe de cet album, car en jouant avec les schémas du songwriting "classique", Lee Ranaldo a réussi à trouver une forme de liberté, qui est un vrai bonheur à entendre. Pour ce faire, Ranaldo a fait  appel a de vieux compagnons de route ou de brillantes figures de la scène new-yorkaise tels que Nels Cline (Wilco), Bob Bert (batteur de Sonic Youth avant Steve Shelley, lui aussi présent au générique), Jim O'Rourke ou John Medeski (Medeski, Martin & Wood).

Le résultat est d'une fraîcheur toute printanière aux arômes boisés et solaires. Quel luxe se dit-on à l'écoute de ces 10 titres de sortir un disque à 56 ans qui respire tant la juvénilité. Car on pourrait presque croire à une oeuvre de jeune premier, trahie par la maturité évidente qui transparaît dans certains textes. Les trois premiers titres peuvent d'ores et déjà figurer parmi les meilleurs morceaux de ce début d'année : "Waiting On A Dream" et son riff à la "Paint It Black", "Off The Wall" et ses magnifiques guirlandes d'arpèges et "Xtina As I Knew Her" qui revisite le passé de Ranaldo pour 7 minutes qui marquent incontestablement un des sommets de l'album. "Hammer Blows" et "Stranded" jouent quant à elles la carte de l'acoustique dépouillé, cette dernière s'ornant de discrets motifs de lap steel et de très belles harmonies vocales sur lesquelles Ranaldo ose enfin chanter à pleine voix pour un performance où la sensibilité semble à fleur de peau. "Fire Island (Phases)" s'articule autour d'une superbe mélodie et d'un refrain presque country avant de se terminer sur une coda qu'on croirait toute droit sortie d'un album de Wilco. On relèvera également le petit clin d'oeil final aux Beatles dans lequel on sent que Ranaldo assume complètement ses influences de jeunesse: "Tomorrow Never Comes" reprend la rythmique et le côté psychédélique enfumé du mythique "Tomorrow Never Knows" des Fab Four. On louera d'ailleurs au passage la toujours impeccable mise en son signée John Agnello à la fois sèche et douce, sachant sublimer guitares et voix dans de belles volutes de reverb cotonneuse.

Voilà donc au final un album d'une tenue impeccable et pouvant très sérieusement prétendre à monter sur les plus hautes marches du podium pour le bilan de fin d'année. Reste donc à espérer que si Sonic Youth ne ressort  pas de son sommeil forcé, ce jeune Lee continue à nous servir des albums aussi excellents qui pourront figurer en bonne place entre, par exemple, Washing Machine et The Eternal.

Le goût des autres :
7 Julien L