Before Love Came To Kill Us

Jessie Reyez

FMLY – 2020
par Ludo, le 28 avril 2020
6

Longtemps cantonnée au rôle de faire-valoir qui sort des titres sympas à la petite semaine, Jessie Reyez, semble enfin atteindre une forme d'apogée avec la sortie de son premier album. Mais plutôt qu’un nouveau départ, voyons-y davantage une synthèse de son talent brut imprégné d’un mélange habile entre R&B, folk et soul. Avec, pour attirer le chaland et affoler les streams, le pompage de deux de ses plus gros hits entendus sur ses précédents EP’s, « Figures » et « Imported ». Mais que penser de ce patchwork aussi attendu que prévisible? La réponse est déjà dans la question.

Outre sa voix nasillarde et son vibrato caractéristique, ce qui frappe à la première écoute du disque, c'est le franc-parler de la Canadienne : le regard fixe et la moue dessinée aux coins des lèvres, c’est avec un humour à froid que Jessie Reyez nous oblige à l’écouter parler de ses déboires amoureux. Il faut bien comprendre qu'elle n’est pas des plus tendres avec ses conquêtes : que ce soit en posant un revolver sur la tempe de son copain pris en flagrant délit d’infidélité (« Do You Love Me ») ou en menaçant de meurtre les filles qui s’approcheraient trop près de ce dernier (« Intruders »), la native de Toronto nous fait comprendre qu'elle n'est pas vraiment à ranger dans la catégorie 'boniche soumise'. Toutefois, un souci du détail nous contraint à décerner le prix de la meilleure punchline à un des invités du disque, le vétéran Eminem, lequel semble pour une fois dépassé par quelqu’un de plus énervé que lui, mais se fend quand même d'un « I don't wanna spend the night actin' out "Love the Way You Lie" »). Les fans de Riri apprécieront. Si Jessie Reyez est extrêmement convaincante quand elle est caustique, on la suit moins quand elle tombe dans le piège de la démonstration vocale. Son timbre de voix est d'une sensualité folle, mais à trop forcer son talent, cela peut devenir rapidement agaçant, comme sur « La Memoria » ou « Worth Saving ». Et quel dommage de quitter cet album sur un trio de titres au parfum de guimauve repoussant.

Coincé entre un propos caustique et vaguement morbide façon Billie Eilish et une teen pop consensuelle au possible à la Camila Cabello, Before Love Came To Kill Us accumule trop de concessions ou de fautes de goût pour faire honneur au talent de Jessie Reyez. En diluant quelque peu l'esprit de liberté qui avait fait mouche sur son très bon Being Human in Public, elle semble incapable de trouver sa voie - ou d'imposer sa volonté à la major qui a misé quelques millions de dollars sur elle. Mais vu le talent qu'elle nous démontre depuis quelques années ici ou là, on a envie de croire qu'elle finira bien par y parvenir.

Le goût des autres :