Battements

Mr Ogz

Welsh Recordz – 2014
par Aurélien, le 2 décembre 2014
8

Promis, on va vite parler de musique. Mais j'aimerais d'abord entamer ce papier par un colossal mot d'excuse adressé à tous ces gens motivés par leur projet et qui me font parvenir des mails remplis de choses à écouter et que je laisse sans réponses. Vous êtes probablement tous des mecs extrêmement sympa que je voudrais soutenir et écouter passionnément – en tout cas, plus que cet infâme duo Hélène Segara/Joe Dassin qui a mystérieusement pollué nos boîtes mail l'an dernier. Mais je suis malheureusement contraint de courber un peu l'échine et de me tenir à mes horaires de bureau, en m'affichant avec le moins de cernes possible et un costard sans froissures. Mettre parfois le radar en off apparaît donc vital pour concilier loisir et vie professionelle, et garder l'esprit clair même quand je regagne mes pénates avec une dégaine de grumpy cat et l'envie de finir la soirée en slip devant NRJ12. Le type dont on va pourtant parler ici va probablement me pousser à prendre d'excellentes résolutions pour 2015 : parce que si vous êtes quelques centaines de types talentueux comme lui, va falloir que je me bouge un peu le derche.

Mes premiers échanges avec Mr Ogz remontent à 2012, après mon papier sur l'excellent album de PMPDJ. Le producteur prend contact avec moi pour me parler de "Chat Man", sa collaboration avec Starlion, et du projet qu'il a dans les tuyaux baptisé Battements. Le concept est aussi simple qu'ambitieux : offrir une suite de vignettes excédant rarement les deux minutes et y inviter la crème du double H français à se fendre de quelques brèves mesures. Le défi m'amuse, d'autant que le mec tease au calme, évoquant notamment une collaboration avec l'impressionnant Veerus. Entre ces premiers échanges et la parution de ce papier, deux ans de silence radio nous séparent. On reviendra sur le pourquoi du comment avec l'intéressé si on le croise un jour. Mais le simple fait de le lire annoncer, non sans une certaine fierté, la sortie imminente de son projet a fait que, finalement, ce n'était pas si grave : Battements continuait à palpiter, et c'est tout ce qui comptait. D'autant qu'une seule écoute du produit fini a suffi à nous convaincre qu'on est dans un projet réalisé par des gens de bonne compagnie, consciencieux et constants dans leur volonté de se défoncer pour leurs auditeurs.

Vingt-et-un titres, quarante minutes de son, et un casting varié qui s'éclate à étaler une large palette d'émotions et de thèmes : sur le papier déjà, l'album tient toutes ses promesses d'arlésienne rap à la française. Et à se pencher sur l'épuisante liste d'invités, la bosse dans le pantalon est inévitable : imaginez une marmite dans laquelle l'increvable Grems, le trop rare (mais jamais décevant) duo Coloquinte, le cool guy A2H, l'incisif Perso ou le revenant Le Sept marinent, et vous aurez déjà une chouette idée de ce que Battements peut distiller comme variété de prose. Résultat : ça joue les machos magnifiques à certains moments ("Chérie"), ça freestyle sec à d'autres ("Battement"), et souvent ça s'offre du très beau texte ("Qu'est-ce que tu deviens", "Récidiviste"). Mais surtout, c'est suffisamment habile pour éviter le désagréable effet compilation, ici conjuré par les boucles variées du père Ogz et une narration qui gagne en pesanteur à mesure que l'album se dévoile.

Alors certes, Battements n'est pas parfait : il arrive parfois qu'on serre le fion sur certains textes un peu moins au point. Mais à l'arrivée, le disque se veut tellement fluide et spontané qu'on aura à peine le temps de tiquer qu'on baignera déjà dans le morceau suivant. Le premier solo de Mr Ogz ressemble donc à un bon gros braquage à la française dans un pays où l'on se plaît trop à ne retenir que Therapy ou Blastar dès qu'il faut causer beatmaking, et continue de dormir sur des I11Heaven, Myth Syzer ou Koursky Lion. Pour l'heure, rendez donc justice au copain Ogz : baignez-le dans la lumière en lui offrant votre oreille la plus attentive. Car Battements est un impeccable disque de rap français, de ceux qui savent plutôt bien encaisser le long terme. Chaudement recommandé.