At.Long.Last.A$AP

A$AP Rocky

RCA Records – 2015
par Aurélien, le 5 juillet 2015
7

Soyons clairs: c'est dans la douleur que cette chronique du dernier A$AP Rocky est sortie des limbes. Notamment parce qu'on se voyait mal parler de son nouvel album sans évoquer la très mauvaise trajectoire qu'a emprunté sa carrière. Ces trois dernières années furent en effet catastrophiques pour le New Yorkais, qui a cru bon d'être partout, tout le temps, mais aussi d'enchaîner les projets avortés et les ratés. Une tournure plutôt surprenante quand on se rappelle que, très tôt, il avait su placer ses billes avec une certaine intelligence.

Rappelle-toi: c'était en 2011, et Clams Casino bidouillait encore sur Pro Tools entre deux cours de psychologie. Pas tout à fait conscient qu'il avait de l'or entre les main, le producteur avait offert au MC un joli trio de titres ("Palace", "Bass" et "Wassup"), alors persuadé que son unique gloire aurait été de produire un jour pour le Based God. La suite de l'histoire tu la connais: le vent à vite tourné. Le beatmaker est devenu MVP, et son travail vaporeux a pénétré pas mal d'autres sphères. Il n'en fallait pas plus pour que Rocky saisisse la balle au bond et s'engouffre dans la brèche. On ne pourra pas lui reprocher d'avoir manqué de flair: alors que l'instru d'"I'm God" apparaissait dans la timeline de n'importe quel lecteur de Pitchfork, on trouvait aussi sur le disque dur de ces braves gens le premier (et meilleur) projet du jeune branleur, Live.Love.A$AP.

Avec le recul, ce premier projet aura été bien plus qu'une simple carte de visite: c'est grâce à Live.Love.A$AP que l'iceberg cloud rap est parvenu à émerger à la surface, révélant par exemple l'existence d'entités phares de la scène comme le Raider Klan. L'ironie du sort, c'est que c'est aussi à cause de Live.Love.A$AP qu'il est aussitôt reparti sonder les fonds marins. Ainsi, malgré leur talent, des gens comme Main Attrakionz ou SpaceGhostPurrp sont demeurés dans l'underground tandis que, de son côté, Rocky se voyait offrir un deal à 3 millions de benjamins. Imagine-toi en train d'uploader ton premier album sur Sendspace, et te retrouver un an plus tard à mettre une main au cul de Rihanna. Et, seulement à ce moment, tu auras une idée claire et précise du conte de fées qu'à vécu Rakim Meyers a à peine 23 berges.

L'histoire était belle, trop sans doute. Et voilà qu'après avoir pactisé avec Sony, le bonhomme renie toute affiliation avec le cloud rap, entérinant cette désolidarisation par ce diss qui vise expressément SpaceGhostPurrp. Une volonté de s'émanciper de cette niche qu'on aurait pu valider si son premier album en major, Long.Live.A$AP, avait été de bonne facture. Ce fut tout le contraire: un disque vide de risques, bien trop propre sur lui etune version light de son premier projet. Sans oublier qu'il a enterré dans la foulée un album entier avec le A$AP Mob, et un ambitieux projet de beat tape.

Depuis, le destin semble s'acharner: quand At.Long.Last.A$AP est finalement annoncé, il fait suite au décès du mastermind du clan, A$AP Yams, suite à un mauvais dosage de sizzurp. Et si le symbole porté par cet album est lourd, c'est parce que Rocky doit tout à l'homme à la tâche de vin: son succès, sa personnalité, et surtout quelques unes de ses meilleures connexions. Privé de son meilleur pote, Rocky a cru bon de noyer son chagrin dans de vieux disques de rock psyché impliquant l'usage de drogues pour une meilleure compréhension. Bye bye Harlem, bonjour Woodstock. Et Rod Stewart aussiqui succède à Sonny Moore au poste de l'invité le plus WTF du disque.

Pourtant, la promo a été rondement menée: pendant huit mois, le New Yorkais nous a gâtés en balançant au compte-gouttes des clips où il renouait avec l'esthétique popularisée par "Purple Swag". Un vrai désir de retourner aux sources donc, qui se cristallise moins dans un casting qui brasse large que dans cette volonté d'exposer ce bon vieux Bones, plus éminent représentant de ce que le cloud rap à encore de moins consanguin. Ce qui pourrait faire office de désaveu ressemble finalement davantage à un retour à la raison: l'habillage de l'album est à la mesure des véritables ambitions de Rocky, et permet à At.Long.Last.A$AP d'être le disque hippie dont il rêvait secrètement, loin des sphères qui l'ont révélé quatre ans plus tôt.

En dépit d'un criant manque de structure, At.Long.Last.A$AP est en tout cas un vrai disque lumineux et psychotropé, et surtout un disque à la hauteur des attentes - de ses attentes. Si son géniteur n'est de toute évidence pas encore à l'aise dans son nouveau costume de chef d'orchestre, il réussit en tout cas sur ce premier album post-A$AP Yams à prouver qu'il sait tirer le meilleur de ses invités, mais aussi à se mettre admirablement dans la merde en chantant sur ses propres morceaux, comme sur la paire "L$D"/"Excuse Me" qui n'est pas sans rappeler l'excellent The Appetizer de French Montana. Un troisième effort plutôt bien foutu donc, et qui démontre que ce titre oublié avec Lana Del Rey aura influé sur l'inconscient de Rocky.

Bref, ça risque encore de partir en couille à l'avenir. Surtout que l'avenir c'est déjà un peu le moment où l'on boucle ce papier, avec ce mystérieux featuring pour Selena Gomez. Et le pire là-dedans, c'est que ce titre ne jurerait pas tant que ça sur At.Long.Last.A$AP...

Le goût des autres :
8 Jeff 6 Titus 8 Ruben