22, A Million

Bon Iver

Jagjaguwar – 2016
par Maxime, le 13 octobre 2016
7

Difficile de passer à côté : le grand retour de Bon Iver est sans conteste l’un des événements de cette rentrée musicale. À la fois disque cassant les codes du genre folk et « grosse » sortie indie, nous avons pris un peu de temps pour digérer un objet sonore finalement pas si bien identifié que ça.

Petit retour en arrière : on a découvert Justin Vernon à travers son avatar Bon Iver il y a près de 10 ans ; c'était avec For Emma, Forever Ago, très beau disque dénué d’artifices dont l’histoire raconte qu’il a été enregistré en quelques semaines dans une cabane au fond des bois. +10.000 points de mythologie folk en une fois. À la sortie du deuxième long format de l'américain, Bon Iver, Bon iver, on pensait que ce successeur était un geste d’abandon de ce qui avait fait son succès pour ouvrir de nouvelles perspectives, en proposant un folk biberonné au r&b de luxe. On se souvient d'ailleurs qu’entre temps Kanye West était passé par là, samplant "Woods" sur son magnum opus My Beautiful Dark Twisted Fantasy et préfigurant les diverses collaborations à venir entre Chance The Rapper, Francis & The Lights, Yeezy lui-même et Justin Vernon. Mais on n’attendait pas de ce nouvel effort aussi homogène et ramassé que les deux précédents (10 pistes pour moins de 40 minutes) qu'il soit plus radical encore dans son approche.

Dès l’ouverture de ce troisième disque à virgule, le barbu du Wisconsin prend en effet un nouveau virage, composant des chansons à base de bruitages, de textures, de découpages et de collages sonores ; matière déstructurée à laquelle les titres des morceaux, imprononçables, font écho. Il y a cinq ans, le choix de l’autotune pour certaines parties chantées paraissait audacieux pour un album de folk ; ici cela semble anecdotique au milieu de ce maelström sonore. C’est d’ailleurs la première fois dans sa discographie que Justin Vernon fait usage de samples, sur six des dix titres de 22, A Million. Certains moments ("33 « GOD »", "8 (cercle)", "00000 Million") sont de facture plus classique et n’auraient pas dépareillé sur Bon Iver, Bon Iver mais, si ces passages sont agréables, ils ne sont pas les plus prenants de l’album. Au contraire, c’est quand l’Américain lâche vraiment la bride que ce troisième album devient véritablement passionnant. On pense notamment à "10 d E A T h b R E a s T ⚄ ⚄", bande-son idéale d’un apéro entre robots défoncés à l’acide, ou le folk futuriste de "21 M♢♢N WATER".

Plus globalement, il faut quand même bien reconnaître que Justin Vernon emprunte des chemins défrichés il y a quelques années déjà par Sufjan Stevens avec le visionnaire The Age of Adz. Mais, à sa décharge, ceux-ci sont encore très loin d’être balisés et il y a en 2016 de la place pour un disque comme 22, A Million. Et si Bon Iver, Bon Iver tombait au moment de sa conclusion dans un revival pop 80s assumant un kitsch que n’aurait pas renié Phill Collins lui-même, 22, A Million reste à chaque instant en lisière de ce travers, flirtant parfois avec la ligne rouge mais se gardant bien de la franchir.

Paradoxalement si les voies empruntées sont sinueuses, il n’en résulte pas moins que le succès est au rendez-vous, 22, A Million ayant frôlé la première place des charts US la semaine de sa sortie. Une belle performance pour un disque aussi exigeant et qui prouve que l’on peut encore conjuguer vision artistique et succès. Tout cela en alimentant les débats, car beaucoup d’encre a déjà coulé, que ce soit pour encenser l’album ou en dénoncer la vacuité. Mais peu importe de quel bord on est, l’essentiel pour une œuvre est bien de faire naître des émotions et de déchaîner des passions et, sur ce plan, une nouvelle fois, Bon Iver remplit pleinement son contrat.

Le goût des autres :
6 Jeff 7 Yann